Les assureurs n’ont pas attendu la publication en mai 2019 de la loi Pacte pour faire de l’investissement socialement responsable (ISR) l’un des enjeux phares de leur développement stratégique. Mais l’entrée en vigueur de nouvelles obligations législatives en la matière achève de les convaincre de s’imposer comme les leaders de la finance durable auprès de leurs clients.
journaliste
Donner du sens à son épargne… Le refrain n’est pas nouveau, mais cinq ans après la réunion de la COP 21, il n’a eu de cesse de s’amplifier au point de devenir l’un des musts du gouvernement, relayé notamment par la voix du ministre de l’économie et des Finances. Soucieux « d’offrir à chaque Français la possibilité de mobiliser son épargne dans un produit qui finance la transition énergétique », Bruno Le Maire a donc profité de la loi Pacte du 22 mai 2019 pour faire de l’assurance vie – placement réputé préféré des Français avec 1 788 Md€ d’encours sous gestion fin 2019 – l’un des principaux vecteurs de développement de la finance durable.
Aussi séduisant soit-il, le challenge n’est toutefois pas gagné d’avance. « Six Français sur dix déclarent accorder de l’importance aux impacts environnementaux et sociaux de leurs décisions de placement mais ils sont aussi nombreux à reconnaître n’avoir jamais entendu parler de l’ISR, l’investissement socialement responsable ! », observe Hervé Tisserand, directeur général d’Altaprofits en écho à l’édition 2019 de l’enquête Ifop menée chaque année dans le cadre de la Semaine de la finance responsable (1). Toujours selon cette étude, seuls 5 % des Français confirment avoir déjà investi dans un fonds ISR et seulement 6 % des personnes interrogées indiquent avoir fait l’objet d’une proposition de placements ISR par leur conseiller. « L’enjeu majeur du moment consiste à redoubler d’efforts de pédagogie vis-à-vis de nos clients pour les aider à appréhender l’investissement durable dans toutes ses dimensions en leur apportant une vision à 360° de la démarche ISR », confirme Geoffroy Brossier, directeur commercial, marketing & offres vie de Covéa.
Filtres extra-financiers
Les assureurs naviguent il est vrai en territoire connu. Cela fait plusieurs années maintenant qu’ils se sont engagés dans des politiques d’investissement socialement et écologiquement responsables qui consistent à sélectionner des valeurs d’entreprises sur la base de critères « extra-financiers », dits ESG, tenant compte de leur respect de l’environnement (émission de CO2, gestion des déchets, etc.), du lien social (droit du travail, relation avec les fournisseurs) et d’une bonne gouvernance (transparence financière, lutte contre la corruption…). Résultat, les actifs généraux des compagnies sont désormais passés au tamis ESG. « Nous introduisons ces critères extra-financiers en amont de nos processus d’investissement afin d’exclure l’achat d’émetteurs qui ne respectent pas des objectifs de développement durable », indique-t-on chez Natixis assurances. Chez CNP assurances, « 81 % des actifs sont gérés avec un filtre intégrant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ». Cette quote-part grimpe à 85 % à la Maif et à 98 % « des actifs détenus en direct dans le fonds général » chez BNP Paribas Cardif.
Profitant de la publication en novembre dernier du troisième baromètre ESG-Climat du secteur, la présidente de la Fédération française de l’assurance (FFA) Florence Lustman a ainsi pu saluer le « très fort engagement des assureurs en faveur du climat » dont témoignent les 61 Md€ d’investissements verts cumulés fin 2018 dans leurs portefeuilles. Ces actifs se composent pour l’essentiel d’immobilier vert (33 Md€) et de Green Bonds, ces obligations émises par une entreprise, une organisation internationale ou une collectivité locale pour financer un projet ou une activité à forte valeur ajoutée environnementale (18 Md€). Ils couvrent également des investissements en infrastructures vertes (6 Md€ mobilisés) et en fonds thématiques environnementaux (4 Md€).
Cap vert
La forte progression des placements « écolos » des assureurs (+ 24 % par rapport à 2017) indique à elle seule le chemin parcouru depuis 2015, année charnière doublement marquée par la COP 21 et l’entrée en vigueur de la loi du 15 août 2015 sur la transition énergétique. « Les stratégies mises en œuvre pour sortir du charbon sont un exemple supplémentaire des efforts réalisés par les assureurs pour aligner leurs investissements sur l’accord de Paris », souligne Florence Lustman.
Le ton vert des portefeuilles pourrait toutefois être encore plus soutenu. Selon une analyse menée par la FFA en 2019, l’exposition des actifs financiers des assureurs français aux entreprises considérées comme « développeurs de charbon » (entreprises ayant annoncé ou prévu des nouveaux projets de mines, de centrales ou d’infrastructures dans le secteur du charbon thermique) atteint encore 3,2 Md€ (96 % sous forme d’obligations privées). « Cela ne représente que 0,1 % du total des investissements de la profession », souligne la FFA. Mais ce montant reste pratiquement six fois plus important que celui du désinvestissement du charbon (575 M€ fin 2018).
De nouvelles actions ont donc été engagées pour achever de rabattre la voilure, parmi lesquelles on peut notamment citer une série de recommandations émises par la FFA relatives au durcissement des stratégies charbon. Ou encore le lancement récent de trois fonds « Ambition climat » pour un montant total de 500 M€ cofinancés par la Caisse des dépôts, EDF, et huit sociétés d’assurance : Allianz France, Aviva France, Axa France, BNP Paribas Cardif, CNP assurances, Macif, Maif et Société générale assurances.
Pacte compatible
Forts de leur engagement ISR, les assureurs abordent avec sérénité et enthousiasme les nouvelles obligations qu’induit la loi Pacte en matière d’offre socialement responsable. Pour rappel, la loi du 22 mai 2019 en faveur de la croissance et de la transformation des entreprises exige que tous les contrats d’assurance vie conclus à compter du 1er janvier 2020 proposent au moins une unité de compte (UC) investie soit dans un fonds solidaire (5 % à 10 % de l’encours consacré au financement d’activités à forte utilité sociale), soit dans un fonds labellisé ISR et/ou Greenfin (label qui adoube des placements favorables à la transition énergétique et écologique pour le climat). Par ailleurs, dès 2022, la proportion d’UC du contrat respectant ces modalités devra être communiquée aux souscripteurs avant signature.
« La loi Pacte ne fait que conforter nos orientations, remarque Odile Ezerzer, directrice générale de Mutavie (groupe Macif). Cela fait plus de vingt ans que nous travaillons en étroite collaboration avec notre gestionnaire d’actifs OFI Asset Management. Signataire des PRI – principes pour l’investissement responsable – de l’ONU depuis 2008, OFI AM figure parmi les précurseurs de la gestion ISR en France et notre offre « multi vie » contient déjà trois fonds labellisés ISR, LuxFLAG et Finansol. » (2)
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Même constat chez BNP Paribas Cardif où fin 2018, les unités de compte ISR pesaient plus de 3,8 Md€. « 72 UC ont fait l’objet d’une labellisation externe et notre encours ISR, qui a doublé en quatre ans, témoigne de l’intérêt grandissant de nos clients pour des investissements qui concilient performances financières et impact social positif », se réjouit Olivier Héreil, directeur adjoint de la gestion d’actifs de BNP Paribas Cardif.
La dynamique ISR tend en effet à se généraliser. « Fin 2018, les UC responsables, vertes et solidaires représentaient près de 8 Md€ d’encours contre 2,8 Md€ deux ans plus tôt », confirme Pauline Becquey-Helary, responsable développement durable au sein de la FFA. Sur ce total, 5,4 milliards d’UC étaient labellisées ISR et 1,7 milliard avait reçu un autre label européen (LuxFLAG, FNG, Umweiltzeichen). Les UC estampillées Greenfin et Finansol (respectivement 540 et 270 M€) restent en revanche plus marginales.
Taxonomie
« Nous attendons d’avoir une meilleure lisibilité sur la taxonomie concernant les fonds « verts » pour analyser les possibilités de référencement de nouveaux supports en UC », glisse Geoffroy Brossier, chez Covéa. « Un tiers des encours investis dans les UC de notre contrat répond déjà aux critères de la loi Pacte et d’ici 2022 nous ajouterons au moins un support labellisé Greenfin à notre gamme », annonce de son côté Hélène N’Diaye, directrice générale adjointe de la direction assurance de personnes de la Maif, dont le contrat « Assurance vie responsable et solidaire » lancé en 2009 figure parmi les pionniers du marché. Fin janvier, la mutuelle a par ailleurs annoncé l’adoption par son fonds de capital-innovation Maif avenir (250 M€ sous gestion) du statut d’ « entreprise à mission » avec à la clef une inflexion encore plus marquée d’investissement dans des start-up qui « placent les enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux au cœur de leur projet ».
« La majorité de nos offres répondent déjà aux obligations de la loi Pacte en matière de labellisation ISR et Greenfin, mais nous recherchons en complément une solution d’investissement solidaire à fort impact social qui réponde à nos exigences et à celle de la législation », précise pour sa part Anne Lamotte, en charge de l’écosystème « Mon Avenir » chez Allianz France.
Arrivé plus récemment sur le créneau du socialement responsable, le groupe mutualiste Groupama, entend quant à lui « frapper fort » avec son offre grand public lancée en octobre dernier riche d’une soixantaine de fonds ESG dont près de la moitié labellisée ISR, Greenfin ou LuxFLAG. « Le nouveau profil équilibré durable que nous proposons dans le cadre de nos gestions déléguées se veut une réponse aux besoins de diversification des épargnants en ligne avec leurs convictions », souligne Guillaume Pierron, directeur général adjoint de Groupama Gan vie.
Chez Aviva France, où l’engagement dans la transition énergétique et l’ISR se chiffre déjà en milliards d’euros, les initiatives se multiplient également. « En novembre dernier, nous nous sommes hissés à la troisième place du classement du label ISR avec plus de 7 Md€ d’encours estampillés et dès avril 2019, nous avons souhaité mettre à la disposition de nos clients, avec « Aviva vie solutions durables », une large gamme de supports ISR dotée d’une gestion mandatée responsable déclinée en trois profils de risque », détaille Arthur Chabrol, directeur général délégué d’Aviva France. Dans le même temps, la compagnie a lancé en partenariat avec Mirova (groupe BPCE) « Aviva La fabrique impact ISR », un fonds qui « soutient les entrepreneurs porteurs de projets à fort impact sociétal et comporte 10 % d’actions non cotées d’entreprises solidaires également présentes dans notre fonds labellisé Finansol « Aviva Impact Investing France », ajoute Arthur Chabrol. Lancé il y a un peu plus de cinq ans et doté de plus de 30 M€, ce fonds solidaire a contribué au développement d’une cinquantaine d’entreprises depuis sa création.
Voir plus loin
Aussi porteuse soit-elle, la thématique de l’investissement responsable soulève néanmoins encore beaucoup d’interrogations. Nombre d’épargnants séduits par le principe peinent à franchir le pas de l’ISR faute d’informations suffisantes sur le contenu réel des supports prétendus « socialement responsables » et leurs perspectives de rendement. Les réseaux ont encore un important effort pédagogique à fournir pour éclairer leurs clients sur la gestion ISR et les convaincre de la pertinence financière d’un choix d’UC respectueuses du développement durable. Réputées gagnantes à long terme, les entreprises repérées pour leur bon scoring ESG peuvent en effet décevoir à plus brève échéance.
Chiffres à l’appui, les promoteurs de l’ISR aiguisent leur argumentaire pour encourager leurs clients à voir plus loin. « Selon une méta analyse menée par l’université d’Oxford en 2015, 80 % des études réalisées montrent que les pratiques de durabilité ont une influence positive sur la rentabilité de long terme des investissements tout simplement parce que les entreprises ne respectant pas les normes environnementales ou sociétales s’exposent à terme à un risque de régulation et de réputation », explique Daniel Collignon, directeur général de Spirica (Crédit agricole assurances). Matthias Seewald, membre du comité exécutif d’Allianz France en charge des investissements, en est également persuadé : « Les critères ESG sont les piliers de l’analyse fondamentale d’une entreprise, donc de l’investissement. » Une étude publiée en 2019 par la Financière de l’échiquier étaye ces propos, elle montre que sur neuf ans les fonds ISR surperforment les fonds classiques. « Nous considérons les supports ISR, soutenus par des perspectives de rendements sur le long terme, comme un atout essentiel de notre gamme financière actuelle et future et la performance de notre fonds ISR Axa valeurs responsables (+ 26,4 % en 2019) montre que nous sommes sur la bonne voie », conclut avec confiance Youmna Hamze, directrice adjointe marché épargne et prévoyance chez Axa France. L’avenir dira si les souscripteurs d’assurance vie s’y engageront... durablement.
(1) enquête réalisée pour Vigeo Eiris, l’agence internationale de recherche et services ESG (environnement, social et gouvernance) et le FIR (Le Forum pour l’investissement responsable) pour la 10e année consécutive.
(2) Finansol est une association dédiée à la promotion de la finance solidaire et le label LuxFLAG est délivré par l’agence indépendante Luxembourg Finance Labelling Agency.