Interview de la semaine

« Les réassureurs investissent de plus en plus la branche vie »

Publié le 29 août 2019 à 8h00

Marie-Caroline Carrère

Marc-Philippe Juilliard, directeur chez S&P Global Ratings

Marie-Caroline Carrère
journaliste

Marc-Philippe Juilliard, directeur chezS&PGlobal Ratings, revient sur le marché de la réassurance en France et notamment sur la réassurance alternative.

Le side-car créé par CCR Re ouvre-t-il des perspectives pour le marché français ?

La technique n’est pas nouvelle car beaucoup d’assureurs et de réassureurs ont déjà opéré via des side-cars. Scor l’avait fait il y a longtemps, ainsi que d’autres acteurs du marché de la réassurance. La grande nouveauté est le fait d’avoir recours à un véhicule français et cette initiative ouvre des opportunités pour d’autres acteurs en France.

Le mécanisme du side-car n’est pas le plus utilisé sur le marché de la réassurance dite alternative. En termes de volume, on voit beaucoup plus d’opérations de réassurance colatéralisée ou de cat bonds.

Pour ce qui est de la structure légale, la grande majorité des side-cars est domiciliée aux Bermudes. On constate un changement à ce niveau-là, dans la mesure où d’autres side-cars sont créés en Europe, notamment en Irlande.

Le marché français est-il un marché important pour les ILS ?

Non, pas en tant que tel, mais un certain nombre d’opérations se sont faites. Groupama avait émis une obligation catastrophe de manière à se protéger contre le risque tempête en France, qui est par définition leur grande exposition. De même, Covéa a également fait appel à la réassurance alternative. En termes de volume, le marché français ne représente pas grand-chose. Ce sont des démarches relativement ponctuelles.

Comment se porte le marché français de la réassurance traditionnelle ?

Les grandes tendances sont liées à plusieurs facteurs : l’évolution du marché de l’assurance primaire, qui reste compétitif, mais dont certaines branches sont en difficultés techniques, sans compter la sinistralité qui ne diminue pas. A cette date, 2019 n’est pas défavorable, mais il faudra évaluer les conséquences des événements relativement récents, comme la sécheresse ou la grêle, et certains éléments ponctuels pour modifier ou en tout cas moduler les évolutions tarifaires. Étant donné que beaucoup de ces risques sont pris en charge par la CCR au titre du régime Cat Nat, ces événements ne se retrouvent pas sur le marché privé et n’y ont de fait pas énormément d’impact.

Le provisionnement des réassureurs actifs en France est-il satisfaisant ?

Nous n’avons pas d’inquiétude. Si c’était le cas, nous le dirions publiquement et cela pourrait avoir un impact sur la note des acteurs concernés.

Quelle est l’appétence au risque des réassureurs en France ?

L’appétence est modérée dans la mesure où on observe depuis quelques années déjà une amélioration considérable de la capacité des réassureurs à mesurer et à gérer leur prise de risque. Pour autant, les réassureurs doivent accepter de prendre des expositions pouvant occasionnellement coûter des sommes assez significatives, à la faveur d’événements spécifiques.

Quelles sont les politiques de cession des assureurs primaires vers la réassurance ?

Il y a peu d’évolution, en tout cas rien de structurel. Longtemps on a pensé que la concentration du secteur des assureurs primaires pourrait amener une plus grande rétention des risques. En effet, un grand assureur de dommages avec des capacités un peu partout dans le monde peut obtenir une meilleure mutualisation des risques et, à ce titre, avoir un moindre recours à la réassurance. On s’aperçoit toutefois que la tolérance des différentes parties prenantes, et en particulier des actionnaires, fait que même si on s’appelle Axa ou Allianz, les actionnaires ne s’attendent pas à ce qu’un événement coûte trop cher. Ce qui est vrai pour les grandes entreprises d’assurance l’est encore plus pour les moyennes et petites. C’est pourquoi nous observons une adaptation de la politique d’achat de réassurance plutôt qu’une évolution drastique.

Qu’en est-il de la rétrocession alternative ?

Le marché de la rétrocession alternative se base sur des opérations qui durent entre trois et quatre ans. Après un événement, les fonds peuvent être bloqués un certain temps. Or, les acteurs ont enchainé deux années difficiles consécutives. Les investisseurs s’attendent donc à une rémunération plus élevée. On avait d’ailleurs constaté une baisse de la rémunération, désormais on constate un retournement avec une hausse sur ce marché-là.

Le marché de la rétrocession est connu pour être assez réactif. À la suite d’un événement naturel, le niveau de prix de l’assurance primaire augmente, celui de la réassurance augmente un peu plus et, traditionnellement, le prix de la rétrocession augmente encore plus. C’est là où un événement inattendu va avoir le plus de sensibilité, voire induire des problèmes de capacité parfois au-delà de la seule problématique des prix.

Jusque-là, il y avait un flux de capital donc même après des événements la surcapacité était telle que ce n’était pas forcément suivi de hausses. Seulement, ces deux dernières années, les investisseurs ont été un peu pris de court, et cela a eu un impact sur les opérations.

Quelle est la tendance pour les risques industriels ?

Le marché commence à se tendre, mais il faudra attendre avant de savoir s’il s’agit d’un épiphénomène ou de quelque chose de plus structurel. Ce mouvement intervient après de très nombreuses années d’assouplissement tarifaire. Ainsi, il est encore trop tôt pour parler de retournement de tendance. Il y a beaucoup d’acteurs présents sur ce marché où on retrouve les très grands assureurs de risques industriels, tels Axa XL, Allianz, Zurich ou AIG, mais aussi un certain nombre de réassureurs comme Swiss Re ou Scor qui prennent des parts dans des programmes. Ça reste un marché structurellement concurrentiel.

La RC générale et RC auto sont-ils des marchés en tension ?

Il y a des éléments structurels. Pour la RC auto, le coût des blessures corporelles s’accroît d’année en année à un rythme soutenu et les indemnisations des victimes sont donc de plus en plus importantes, ce qui pèse sur les équilibres financiers des assureurs et par voie de conséquence sur les réassureurs. Le marché est concurrentiel, avec beaucoup d’acteurs. La logique économique voudrait que le renforcement tarifaire continue de s’opérer, la réalité peut être parfois différente au moins sur le court terme.

Par ailleurs, une part significative des indemnisations est versée sous forme de rente et non pas en capital. Or, dans la manière dont on détermine la provision à constituer pour verser une rente, il y a un facteur taux d’intérêt. Ce dernier a considérablement diminué en France depuis le début de l’année et, aujourd’hui, on est à moins de zéro sur l’OAT à dix ans. A supposer qu’on en soit encore là à la fin de l’année, un certain nombre d’assureurs devront renforcer les provisions qu’ils avaient constituées sur les rentes en service et mécaniquement avec une détérioration des comptes de résultat. Ce qui est vrai pour l’assureur par voie de conséquence est vrai aussi pour le réassureur.

Les réassureurs sont-ils plus nombreux à se renforcer et accélérer sur l’assurance de personnes et la partie vie ?

On voit de plus en plus de réassureurs investir le domaine de la réassurance vie. Notamment parce qu’il y a de la demande, en particulier pour couvrir le risque de mortalité. C’est un domaine assez différent qui présente assez d’intérêt pour le réassureur dans la mesure où les performances économiques de la réassurance vie sont assez décorélées de l’assurance primaire. Les équilibres financiers sont plus stables et moins volatils qu’en assurance de dommages et c’est donc sans surprise que l’on voit les grands de la réassurance Swiss Re, Munich Re, Hannover Re, Scor, etc. développer année après année leur activité de réassurance en vie. Pour Scor, l’activité représente même plus de la moitié des primes souscrites, ce n’est pas négligeable.

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