Patrick Liedtke, Managing Director chez BlackRock
journaliste
Patrick Liedtke, Managing Director, Head of the Financial Institutions Group (FIG) pour la zone EMEA chez BlackRock, revient sur la 8e édition de l’étude « Re-engineering for resilience : Global Insurance Report 2019 » consacrée au secteur de l’assurance et les différentes problématiques de gestion d'actifs auxquels sont confrontés les acteurs du secteur du fait, entre autres, des taux obligataires négatifs.
Quels sont les constats essentiels que vous faites de l'étude réalisée auprès des assureurs ?
Pour mener l’étude « Re-engineering for resilience : Global Insurance Report 2019 », nous avons interrogé 350 compagnies d’assurance en Europe et à l’international qui représentent 16 000 Md$ d’actifs, soit pratiquement 50 % des actifs mondiaux du secteur.
La première inquiétude des assureurs est clairement la très faible croissance en 2019, pour les produits d’assurance comme pour les stratégies d’investissement. De fait, cela a créé des défis assez particuliers, visibles dans tous les plans stratégiques des assureurs. Ce qui nous a surpris, c’est que depuis deux ans, et ce malgré une croissance faible, les risques géopolitiques et des taux d’intérêt qui continuent de baisser, les acteurs ont une volonté générale de développer leur business. Cette ambition de développement indique que malgré la conjoncture, la confiance de l’industrie en elle-même est au rendez-vous.
Les assureurs dans leur prévisions à court/moyen terme n’avaient pas prévu les taux d’intérêt négatifs…
Les taux négatifs ne sont pas un phénomène nouveau, l’année dernière une bonne partie de la dette souveraine en Europe était négative. En revanche, il est vrai que la tendance s’est accélérée de manière significative.
Les assureurs sont en train de repenser leurs allocations afin de préserver la rentabilité de leur portefeuille. La tendance la plus importante est à la diversification pour une question de résilience, l’idée étant qu’elle augmente la capacité de résistance pour les investissements en cas d’éventuelles ondes de choc sur les marchés.
Par ailleurs, les assureurs cherchent de plus en plus des classes d’actifs dans le domaine privé, tant dans la dette privée que dans le private equity ou les infrastructures. Cette tendance des assureurs à remplacer des actifs cotés sur les marchés obligataires et actions par des solutions privées constitue un tournant pour le secteur.
Ils cherchent la diversification pour des raisons de résilience, mais également pour accélérer la productivité des portefeuilles tout en compensant ce qui est en train de se passer sur les marchés de produits liquides.
Aujourd’hui, 6,9 % des portefeuilles de la région EMEA sont alloués aux marchés privés, nous leurs avons demandé ce qu’ils comptent en faire à trois ans, et la moyenne passe de 6,9 à 8,7 %, on voit que presque 2 % de leur bilan va changer. Or, en Europe, les compagnies d’assurance contrôlent au-delà de 10 000 Md€ d’actifs, et 2 % de plus en deux ans implique 150 à 200 Md€ d’actifs qui seront réalloués sur les marchés privés, c’est énorme !
En termes d’investissement, est-ce que Solvabilité II limite les possibilités ?
Le défi essentiel des assureurs aujourd’hui est de calibrer l’effort sur le non-coté, en fonction de la « duration » de leurs passifs, mais également de celles qu’ils ont à l’actif. Les taux obligataires négatifs ont un peu entamé leur marge de solvabilité. Ils doivent réussir à faire un calibrage le plus fin possible, à mieux modéliser leurs engagements, et à les étaler dans le temps pour atteindre des niveaux d’investissement ciblés sur des classes d’actifs qui se démarquent nettement des instruments plus traditionnels, notamment par la façon dont le capital des fonds est appelé et alloué.
Nous constatons qu’il y a des niveaux de sophistication assez variables sur ces nouvelles classes d’actifs avec des acteurs présents sur le private equity, les actifs d’infrastructure et la dette privée depuis plusieurs années et d’autres pour qui ce phénomène est un peu plus nouveau.
Qu'en est-il des investissements ISR et ESG des assureurs ?
Aujourd’hui, la situation a beaucoup évolué, les considérations ESG sont au cœur des décisions d’allocation et portent autant sur les green bonds que sur la décarbonation des portefeuilles d’investissement. La question centrale est de déterminer comment les investisseurs peuvent utiliser les critères ESG pour créer des portefeuilles supérieurs parce que plus qualitatifs. L’ESG est devenu une réelle considération des assureurs y compris dans le domaine des marchés privés concernant la nature des infrastructures susceptibles d'être financées, ou les qualités environnementales d’un actif, par exemple dans l’immobilier ou la dette privée.