Insurtech

Le quart d’heure de gloire des néo-assureurs ?

Publié le 2 novembre 2020 à 8h00

Louis Johen

Alan, Luko, Lemonade, Leocare, Seyna… Apparus il y a moins de cinq ans dans le paysage de l’assurance, ces nouveaux acteurs ont pleinement pris leurs marques dans le secteur sous l’angle de la technologie, de la transparence et de l’expérience client. Le commencement d’une nouvelle ère ?

Louis Johen
journaliste

Longtemps, l’innovation dans l’assurance est venue de l’intérieur. De l’Afer, qui révolutionne l’assurance vie au début des années 80 en lançant le contrat à versements libres, à la créativité des courtiers et des courtiers grossistes ou encore celle des sociétés d’assistance qui ont progressivement contribué à changer le paysage de l’assurance, les femmes et les hommes du sérail ont longtemps eu la main sur l’innovation dans leur secteur d’activité. Mais pendant que le marché tardait à prendre le virage du digital, les nouvelles technologies ont levé certaines barrières et permis à une nouvelle génération d’entrepreneurs de s’implanter au sein d’une profession qui s’est longtemps crue protégée. Au sein de métiers de plus en plus ouverts à l’innovation, ces nouveaux acteurs cassent les codes et tirent profit de la technologie pour prendre ouvertement le contre-pied d’opérateurs traditionnels souvent perçus par le consommateur comme opaques et complexes. Entre doutes et intérêts, les premiers pas de ces néo-assureurs et courtiers sont scrutés de près par la concurrence.

Alan, le pionnier

Fondé en 2016 par Jean-Charles Samuelian et Charles Gorintin, l’assureur santé 100 % digital Alan est la première compagnie d’assurance santé indépendante à obtenir l’agrément sur le marché français depuis 1986. Ingénieur diplômé de l’école nationale des ponts et chaussées, Jean-Charles Samuelian s’est d’abord distingué dans l’aéronautique en fondant Expliseat, une start-up qui révolutionne le siège d’avion en proposant des produits beaucoup plus légers permettant de réduire la facture énergique des appareils. Quant à Charles Gorintin, ce spécialiste d’ingénierie financière diplômé de Normale Sup et de l’université californienne de Berkeley a notamment exercé comme data scientist du côté de Facebook, Twitter ou Instagram.

Souvent comparé à la start-up Oscar lancée en 2013 aux États-Unis, le modèle proposé par Alan fait débat chez les assureurs traditionnels. « La santé est un secteur très réglementé. Une fois que l’on a simplifié la souscription et raccourci les délais de paiement, la capacité d’innover sur le fond du métier reste limitée », explique ainsi un professionnel. Il faut aussi dire que le discours souvent tranché des dirigeants du néo-assureur écorche parfois quelques oreilles dans les coulisses de la profession. On se souvient notamment des débats sur la résiliation infra-annuelle en complémentaire santé, combattue par les complémentaires santé, mais pour laquelle Alan avait ouvertement pris parti. « La meilleure expérience client est chez Alan, dommage qu’il n’ait pas de client », ironise un dirigeant. S’il n’hésite pas à s’afficher en marge des acteurs traditionnels, Alan a toutefois dû montrer patte blanche pour s’installer. À son tour de table figure ainsi, depuis les débuts, CNP assurances, l’une des plus emblématiques compagnies du marché français. À ses côtés, on retrouve également le réassureur Swiss Re qui complète une liste solide de partenaires. En 2018, une nouvelle levée de fonds fait entrer Xavier Niel, patron de Free, au capital. En quatre ans, l’association d’un entourage sérieux et d’un business model attractif ont permis à la « licorne » de lever un total de 125 M€. De quoi financer une croissance aussi ambitieuse qu’internationale, puisqu’après l’Espagne et la Belgique cet été, le groupe table sur une présence dans la plupart des pays européens d’ici cinq ans.

En septembre 2019, la start-up a réussi une belle opération de communication en intégrant le Next40, un programme d’accompagnement et de valorisation lancé par le ministère de l’Économie et des Finances et BPI France, présenté comme le CAC 40 des start-up françaises.

Côté chiffres, Alan indique avoir quadruplé sa production en 2019 (15,9 M€ de primes acquises pour 67 000 assurés au 1er janvier 2020) et multiplié ses effectifs par trois. Du fait du développement de la masse salariale et de la poursuite d’investissements informatiques, le bilan 2019 se clôt avec une perte de 19,4 M€ en bas de ligne.

La route tracée n’est évidemment pas sans obstacles. Partisan d’une communication directe avec ses assurés à travers un blog dédié, le groupe a récemment annoncé sa décision de se mettre en pause sur les contrats individuels sans en cacher les raisons. « Nous avons "péché par optimisme". La marge brute que nous visions (autour de 20 %) avait été en effet largement dépassée. En d’autres termes, pour 1 € de cotisation, on dépensait 1,5 € de remboursements », explique ainsi Alan. Pris de court par les facilités de résiliation des contrats et par un fort phénomène d’anti-sélection « beaucoup plus décisif que prévu », l’assureur a décidé de ne continuer l’assurance individuelle que sur le segment des travailleurs indépendants. Les fonctionnaires et les retraités, initialement ciblés, n’ayant pas répondu présents.

Lemonade, l’épouvantail

Aux Etats-Unis, la crise sanitaire et économique n’a pas empêché l’argent de couler dans les tuyaux des start-up. Bien au contraire. Avec 225 M€ de levés, l’assureur santé Oscar a porté cet été son total de fonds récoltés à près d’un milliard et demi de dollars. Huit ans après son lancement, il comptabilise plus de 400 000 assurés pour un montant de primes de près de 2 Md$. Dans le même temps, l’InsurTech Lemonade, spécialisée dans l’assurance habitation outre-atlantique, faisait ses premiers pas en Bourse sur le New York Stock Exchange. Une introduction très suivie qui a permis à la société de lever 320 M$ et d’envisager de nouveaux développements. Et après l’Allemagne et les Pays-Bas, c’est en France que la compagnie va s’installer. « L’assurance habitation est souvent exigée par la loi en France, ce qui en fait automatiquement une opportunité incontournable pour le prochain lancement de Lemonade dans un pays européen. Alors que le marché français de l’assurance est l’un des plus développés au monde, nous pensons que le mélange unique de valeurs et de technologie de Lemonade se distinguera pour le consommateur français, en lui offrant la possibilité d’obtenir une assurance rapide, personnalisée et adaptée à sa mission, depuis n’importe quel téléphone », expliquait alors Daniel Schreiber, CEO de Lemonade, sans se priver d’envoyer quelques piques au fonctionnement de l’assurance traditionnelle.

Alors que les premières souscriptions sont prévues dans quelques semaines, l’accueil pour le moins mitigé du Vieux Continent ne s’est pas fait attendre. « Voilà un monsieur qui brûle des millions depuis des années pour une société dont le développement n’a rien d’une success story, et qui se permet de faire la leçon à un secteur qui ne cesse de se réinventer. Lemonade fera pshiit… On parie ? », a réagi le directeur général de la Macif, Adrien Couret, sur les réseaux sociaux. Côté chiffres, la start-up continue en effet de payer de lourds investissements de démarrage. Valorisée plusieurs milliards de dollars en Bourse, elle ne pèse à l’inverse « que » 140 M$ de primes à mi-2020 et affiche des pertes de plus de 160 M$ cumulées sur les exercices 2018 et 2019.

Leocare, le tech-courtier

Lemonade finira-t-il dans le pastis ? Sur le marché français, un certain nombre d’assureurs traditionnels ont tenté sans succès l’aventure digitale. On pense à Amaguiz, lancé par Groupama début 2000 à grands coups de renforts publicitaires, ou même à IDMacif, qui aura certes coûté moins cher à son actionnaire mais pour suivre le même chemin. Pour Christophe Dandois, co-fondateur et CEO du courtier digital Leocare, la donne n’est cependant pas la même. « Nous n’avons pas la même approche et les mêmes modèles d’acquisition que les acteurs traditionnels. Il y a un effet de viralité digitale à partir du moment où le service proposé prend son sens dans la tête des gens. Chez Leocare, nous couvrons nos coûts d’acquisition en sept mois de commissions. La rentabilité est une donnée importante », explique le dirigeant. Positionné sur l’habitation, l’automobile, la moto et l’assurance des téléphones mobiles, la société pense que l’arrivée et la communication autour de Lemonade, surtout s’il débarque en France les poches pleines de budget publicitaire, servira d’accélérateur au développement des néo-assureurs. « Il y a un changement de paradigme dans l’assurance. Ce n’est plus une question de marque mais d’expérience client. Et si le marché bouge autant maintenant, c’est qu’il y a un momentum. Les Français sont prêts et la technologie permet d’aller vers des services d’accompagnement au quotidien », se prépare donc Christian Dandois. Avec une interface de souscription et de gestion uniquement disponible via une application mobile, le courtier joue à fond la carte de la souplesse d’utilisation et de la rapidité d’exécution : devis en une minute, souscription en cinq, activation ou désactivation immédiate d’un conducteur secondaire, possibilité d’hiverner sa moto cinq fois par an, prévention auto en temps réel grâce à l’open data et l’utilisation des coordonnées GPS…

L’assurance doit rentrer dans les codes du e-commerce. « Avec Leocare, l’assuré peut adapter ses garanties en deux clics. Pendant le confinement, cela a parfois permis des économies de 20 à 25 % », détaille Christophe Dandois. Selon lui, la crise du Covid-19 a d’ailleurs servi de révélateur digital. « Nous avons été en capacité de répondre et nous adapter en temps réel au besoin du client. Est-ce le cas de tous les assureurs ? Sans les bons systèmes d’information, c’est impossible à réaliser. Le digital est un iceberg : les 1/7e visibles sont de l’expérience client tandis que les 6/7e cachés sont les technologies et la capacité de fournir le besoin pour alimenter la part émergée. De bout en bout, Leocare est propriétaire de son système d’information. Ce n’est pas que les assureurs traditionnels n’ont pas compris ces enjeux, c’est juste qu’ils ne sont pas en capacité technologique de les exécuter », avance-t-il. Alors que 22 % des affaires nouvelles de Leocare proviennent des résiliations permises par la loi Hamon, ce chiffre est monté à 86 % pendant le confinement.

Pour l’heure, Leocare représente un peu plus de 15 000 clients pour une prime moyenne de 385 €. 70 % de son chiffre d’affaires est réalisé en direct tandis que la part restante se fait avec des courtiers, des comparateurs d’assurance et des partenariats en marque blanche à l’image de celui récemment passé avec Arkéa. Pour atteindre le chiffre ambitieux d’un million de clients en Europe d’ici 2025, Leocare a récemment consolidé son tour de table avec l’entrée comme investisseurs et membres du « board » de Didier Valet, ancien directeur général délégué de la Société générale et de Hugues Lebret, fondateur de la néo-banque Nickel. Jacques Verlingue, grande figure du courtage, fait aussi partie de l’aventure. « Nous sommes très fiers de bénéficier de l’expérience de Jacques Verlingue. Il nous permettra de mieux connaître les codes du métier et de rencontrer les bonnes personnes pour renforcer notre écosystème », se félicite Christophe Dandois.

Luko, la smart MRH

Dans l’univers des néo-assureurs, la caution morale et professionnelle de pros aguerris reste donc de mise. Luko ne déroge pas à la règle. Positionnée sur le créneau de la « smart home » à sa création en 2016, la société fondée par Raphaël Vullierme et Benoît Bourdel boucle en 2018 un tour de table de 2 M€ notamment soutenu par Bruno Rousset, fondateur d’April, ou Pierre-Olivier Desaulle, ancien CEO Europe d’Hiscox. L’occasion pour la start-up de se lancer sur le marché de la MRH avec La Parisienne assurances (récemment devenue Wakam) en porteur de risques et le soutien des réassureurs Swiss Re et Munich Re. L’an passé, Luko a procédé à une nouvelle levée de 20 M€ pour dynamiser ses investissements technologiques mais également se développer dans plusieurs autres pays européens. A l’été 2020, la start-up communiquait sur plus de 30 000 assurés. Actif dans la protection du foyer, il s’est également diversifié sur les NVEI et s’apprête à se lancer dans l’assurance emprunteur.

Sur le plan technologique, la jeune pousse s’appuie sur son concept de protection globale du foyer grâce à l’utilisation d’objets connectés et d’IA pour maximiser la prévention. Elle promet en outre une souscription en ligne en deux minutes et un processus de règlement de sinistre ultrarapide, renforcé par un partenariat passé avec Lydia, spécialiste des paiements mobiles. à l’instar de Lemonade, Luko veut proposer un mode de fonctionnement alternatif : « Il y a, au cœur du modèle traditionnel de l’assurance, un conflit d’intérêts : il y a toujours un gagnant et un perdant. Quand l’assureur rembourse votre sinistre, vous gagnez, il a perdu et vice versa. En effet, tout l’argent qui ne sert pas à vous rembourser vient accroître ses profits à la fin de l’année », explique Raphaël Vullierme. La société a donc adopté un principe de fonctionnement inspiré de la ristourne mutualiste. Alors que 30 % de la prime est prélevée pour couvrir les frais de gestion, le reste est placé dans un fond de dédommagement des sinistres. Et si l’intégralité n’est pas utilisée en fin d’exercice, le solde est reversé à une association caritative. Alors que 7 % des primes ont été reversés en 2018, l’exercice 2019 a permis à Luko de faire don de 4 000 € à Terre & Humanisme et Emmaüs défi.

Seyna, le dernier né

Créée en 2018, Seyna a reçu l’agrément pour opérer sur la branche dommages en 2019. Une première depuis la Mutuelle des motards en 1983. Avec 12,3 M€ issus de deux levées de fonds d’amorçage, notamment auprès d’InnovAllianz et Global Founders Capital, la start-up souhaite porter les risques de produits B2B2C commercialisés sous marque blanche via un réseau d’InsurTech et de distributeurs spécialisés. Simple et sur-mesure, l’offre de Seyna se positionne sur des marchés de niches. La première réalisation du néo-assureur a été la création d’un produit billetterie proposant le remboursement sans justificatif. En début d’année 2020, la société a lancé une caution locative pour étudiants, une garantie force majeur pour les assurances voyages traditionnelles, une protection financière dans le cadre des locations longue durée de particulier ainsi qu’une assurance casse d’écran des smartphones.

Wakam, l’ovni

Et si le plus « néo » des assureurs était finalement l’un des plus anciens ? Du haut de ses cent quatre-vingt-dix ans, La Parisienne assurances a décidé de s’offrir une deuxième jeunesse illustrée par un récent changement de marque. Devenue Wakam il y a quelques mois, la compagnie reprise en 2001 par Olivier Jaillon a totalement changé de business model il y a six ans pour adapter les produits d’assurance du particulier aux changements de modes de consommation et à la multiplicité des intervenants dans la distribution. Un pivot qui a vu le groupe basculer dans le digital et l’automatisation avec l’utilisation d’API que le distributeur partenaire intègre à son parcours client. La société a par ailleurs développé une blockchain privée qui tourne à plein régime et accueille près de 100 000 contrats. Assis sur un modèle B2B2C, Wakam est focalisé sur la conception et la mise à disposition de produits d’assurance sur mesure pour ses partenaires InsurTech, courtiers ou e-retailers. La gestion est externalisée et le groupe fait largement appel à la réassurance puisqu’il ne conserve que 15 % à 20 % de ses risques. Parti de 50 M€ de primes en 2014, Wakam devrait, cette année, approcher les 400 M€. à l’heure des néo-assureurs, l’ancien monde a encore de la ressource.

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