Le mécénat, chic et pas si cher

Publié le 3 juillet 2012 à 6h00    Mis à jour le 22 octobre 2015 à 12h42

Franck Stepler

Acteurs historiques du mécénat, les assureurs continuent d'investir dans des œuvres sociales, artistiques ou d'intérêt public en dépit d'un contexte économique peu favorable. Et le cadre fiscal avantageux n'explique pas tout.

Quel point commun entre le soutien à la recherche médicale, l'aide à un peuple cambodgien opprimé, le financement de la restauration de films anciens et l'achat d'un tableau de maître ? Réponse : l'implication financière d'entreprises là où l'Etat n'a pas toujours l'envie ou les moyens de s'engager. Le moyen employé s'appelle le mécénat. Des investissements à fonds perdus ? Pas tout à fait. Les raisons de signer des chèques, parfois très gros, sont multiples (voir graphique page suivante). Au total, 40 000 entreprises françaises méritent l'appellation de mécènes, pour un budget annuel global qui avoisine 2 Md€. Et les assureurs ne sont pas en reste.

De même que leurs cousins banquiers, ils sont des mécènes de la première heure : avant le vote des lois les plus incitatives, avant la mode et l'apparition de l'expression désormais consacrée de "responsabilité sociale d'entreprise". C'est notamment le cas de l'Ocirp, chez qui le mécénat fait partie intégrante du positionnement. Tout comme Apicil, qui a dépensé l'an dernier près de 20 M€ pour le mécénat social. Plus surprenant, Aon a créé, il y a tout juste un an, l'association Aon solidarités. Alors que les courtiers sont généralement moins impliqués que leurs partenaires assureurs dans le mécénat, cette structure vise à accompagner des collaborateurs lors d'événements douloureux (accident grave, invalidité...). L'association finance aussi des actions ayant trait à la protection de l'enfance.

Trois éléments clés

Mais quels que soient l'histoire et le modèle d'affaires du courtier et/ou de l'assureur, « le soutien financier, l'utilisation de l'expertise de l'entreprise et l'implication des collaborateurs sont les trois éléments clés d'une opération de mécénat réussie », résume Clara Rodrigo, responsable du mécénat et du bénévolat au sein d'Axa. Et aux côtés du groupe d'Henri de Castries, nombreux sont les acteurs du secteur qui ont logiquement choisi de soutenir des causes dans leur périmètre direct : la santé et la protection sociale. D'autres ont préféré donner au mot "protection" un sens plus large.

Par exemple, CGPA aide au financement d'un projet de sauvegarde et de valorisation d'éléments du patrimoine. L'assureur met ainsi à disposition de la Fondation du patrimoine une somme annuelle de 325 000 € pour une durée renouvelable de trois ans. Par ailleurs, le mécénat ne s'arrête pas aux frontières hexagonales. Ainsi, Ixi Group s'est envolé au Cambodge. « Nous avons choisi de nous engager aux côtés du peuple Cham, par l'intermédiaire de la photographie, explique Christian Hélie, conseiller de la direction en charge de la communication. Nous avons proposé à un artiste de lui financer un reportage au Cambodge pour ensuite montrer ses œuvres et faire découvrir la culture de ce peuple au plus grande nombre. » C'est en avril dernier qu'a été réalisé le reportage, suivi d'une exposition en plein air à Phnom-Penh. Dans quel but ? « Nous menons cette action afin de défendre certaines valeurs. Nous tenons à montrer à nos clients que notre objectif n'est pas simplement productiviste, mais que nous nous intéressons à ce qui se passe dans le monde. C'est le rôle de chacun d'entre nous comme celui des entreprises. »

« Garder les yeux ouverts »

Hugues Aubry aurait pu prononcer exactement les mêmes mots. Le directeur général de Neuflize vie est, lui aussi, persuadé que sa mission inclut de regarder autre chose que des courbes de rentabilité. « Indépendamment de notre quotidien, nous avons le besoin, le devoir, de garder les yeux ouverts sur le monde, sur les questions de société, sur autre chose que la finance. » Autre chose, c'est ici encore la photographie. Un mécénat historique chez les banques actionnaires de Neuflize vie, consacré précisément à la photographie contemporaine.

« Elle propose un autre regard. Au-delà d'une trace, elle est une représentation de la mémoire qui s'inscrit dans le temps, à l'image de l'assurance vie. » Et voilà comment on relie un thème de mécénat au métier de l'entreprise, dont les locaux parisiens abritent près de 800 œuvres. « Les collaborateurs de Neuflize OBC ont la chance de vivre dans un véritable musée vivant, s'amuse Hugues Aubry. Cela constitue une formidable dynamique en interne où tous se sentent impliqués. » Un "prix du personnel" a même été créé, qui lui permet de voter pour des artistes dont la compagnie soutient la carrière et acquiert les œuvres. A propos d'acquisition, notons qu'une belle photo contemporaine se monnaye entre 5 000 et 15 000 €...

A travers ces achats, l'assureur patrimonial se donne l'opportunité de nouer des relations avec des institutionnels. Il est ainsi partenaire du Musée du Jeu de paume, de la Maison européenne de la photographie, de divers lieux en province, à Marseille ou Toulouse, et même d'une chaire de photographie à l'Ecole du Louvre. Enfin, une fondation a vu le jour qui vise à faire bouillonner et rayonner la photographie contemporaine. Elle vient en aide à la recherche, à l'édition, à la Société française de photographie, et tente de découvrir les talents de demain.

Incitations fiscales

Dans un tout autre esprit, La Parisienne assurances a signé une convention de partenariat avec le Centre Pompidou à travers l'opération "Centre Pompidou mobile", destinée à « faire découvrir l'art moderne à des publics nouveaux ». Et tout cela uniquement pour la beauté du geste ? Pas tout à fait. Les décideurs investissent généralement des terrains qui leur tiennent à cœur. Et, accessoirement, profitent d'un cadre fiscal avantageux.

« Si le régime fiscal du mécénat est un point, il ne constitue pas notre motivation principale, précise-t-on chez Neuflize. De ce point de vue, les évolutions fiscales qui ont eu lieu depuis 20 ans n'ont en rien changé notre engagement de mécène. » Et d'affirmer que tout continuerait ainsi si les incitations étaient moindres. Bénédicte Menanteau, déléguée générale d'Admical, association fondée en 1979 pour promouvoir le mécénat d'entreprise, rappelle que « l'achat d'une œuvre pour les collections publiques est défiscalisé à hauteur de 90 % contre 60 % en général ».

Voilà qui est attirant. Mais cela n'explique pas tout, car, comme l'affirme Clara Rodrigo chez Axa, « le dispositif fiscal existant a notamment aidé à développer le mécénat patrimonial en France. Pour les autres actions et notamment celles relatives à notre thème phare qui est la responsabilité d'entreprise, la recherche et l'éducation aux risques, les avantages ne sont accordés que pour des investissements en France. Or, notre action va bien au-delà. » Où exactement ? Commençons par le commencement.

L'angle d'Axa : la prévention des risques

Il y a vingt ans, l'assureur créait l'association Axa atout cœur, un programme qui appartient aux collaborateurs. Le bénévolat y est encouragé dans tous les domaines et financé à hauteur de 3 M€ chaque année. Par exemple, aux Philippines, des collaborateurs du groupe se rendent dans des écoles pour y parler prévention des risques financiers. Un thème qui guide aussi les investissements du Fonds Axa pour la recherche. Doté de 100 M€ sur cinq ans, il permet de financer des chaires ou les travaux de doctorants, aussi bien en France qu'à Singapour. Il s'intéresse à la recherche à long terme sur la santé, les changements climatiques ou la sociologie. Un partenariat avec l'ONG Care à également été établi. L'objectif consiste à développer des projets qui visent à réduire l'impact des catastrophes naturelles. « Nous nous positionnons toujours sous l'angle de la prévention des risques. Il ne s'agit pas uniquement de donner de l'argent, mais aussi d'impliquer toutes les entités du groupe. »

Axa s'investit également dans le mécénat culturel et patrimonial. Ainsi, il y a quelques semaines, l'Etat a-t-il acquis pour le Louvre Le Christ de pitié soutenu par Saint-Jean, un tableau sans doute peint entre 1405 et 1410 et attribué à Jean Malouel. Cette acquisition n'aurait pu être réalisée sans l'aide d'un mécène privé. Axa a ainsi déboursé 7 M€ ! « Pour ce genre d'action, il n'y a pas de comité ni de budget spécifique, explique Clara Rodrigo. Nous prenons nos décisions en fonction des opportunités qui nous sont présentées par le ministère de la Culture ou les musées. Évidemment, la loi de 2003 qui nous permet de défiscaliser ces investissements à hauteur de 90 % constitue un encouragement pour toutes les entreprises françaises. » Au total, depuis neuf ans, Axa aura consacré 48,3 M€ à la sauvegarde du patrimoine culturel français.

Groupama aime le cinéma

Deux exemples bien différents pour poursuivre. Groupama et sa Fondation pour la santé encouragent depuis bien longtemps la recherche sur les maladies rares. Une autre marque du groupe est active depuis 1987 : le Gan, via la Fondation Gan pour le cinéma, devenue Fondation Groupama Gan en 2000, deux ans après la fusion. Mais qu'est-ce qu'un assureur est venu faire dans le cinéma ? En 1987, la Cinémathèque française fête son cinquantième anniversaire à Cannes. Elle recherche pour l'occasion un mécène. Son président, Costa-Gavras, s'adresse à son homologue du Gan qui se laisse séduire et investit. Première mission de la fondation ? Aider au financement de premiers longs-métrages. 150 projets sont soumis chaque année, 50 verront le jour, dont six soutenus par la fondation à hauteur de 60 000 € d'aide au développement. Delicatessen ou Persepolis comptent parmi les lauréats.

La fondation se charge aussi de restaurer des films du patrimoine cinématographique français. « Nous sauvegardons la mémoire pour la transmettre », dit joliment le délégué général de la fondation, Gilles Duval. Georges Méliès, Jacques Tati ou Pierre Etaix comptent parmi les artistes remis au goût du jour. Mais il ne s'agit pas juste de se faire plaisir. L'une des conditions est d'accompagner les œuvres jusqu'en salle ou dans les festivals. Une trentaine d'entre eux sont d'ailleurs soutenus. Budget global : 1M€ par an - et un grand merci au moteur fiscal en passant. Mais reposons la question. Un assureur est-il légitime pour mener ces actions-là ? « Groupama a une responsabilité dans la société, reprend Gilles Duval. Au niveau de sa fondation, la sauvegarde et la diffusion de notre patrimoine cinématographique, c'est-à-dire de notre mémoire collective, relève de la responsabilité de l'entreprise vis-à-vis de la société. Cette action de préservation entre donc directement dans la responsabilité de l'assureur, tout comme l'aide portée aux jeunes cinéastes pour réaliser leur premier film. »

Photo et santé chez Swiss Life

La nécessité de l'engagement citoyen est plus récente chez Swiss Life, qui a créé sa fondation en 2009. « Nous voulions soutenir nos collaborateurs qui désirent aider sur des sujets citoyens et solidaires, résume Anne-Marie Lasry, la déléguée générale de la Fondation Swiss Life. Il était fondamental qu'interne l'on s'approprie la démarche. Il nous fallait ensuite un thème général et nous avons pensé que la santé durable était en cohérence avec notre métier d'assureur santé. Nous avons donc décidé d'accompagner à la fois les malades et la recherche. » Le tout devant répondre à une philosophie non négociable : chaque euro doit être investi dans une action traçable dont les résultats sont mesurables. Mais dans quel domaine ? Un sondage réalisé auprès des assurés a permis de connaître leurs préoccupations. Elles ont pour noms : cancer, Alzheimer et maladies cardiovasculaires. La lutte contre ces pathologies sera donc aidée à travers l'Institut Curie, l'association France Alzheimer et les agents qui assurent eux-mêmes des formations à l'utilisation de défibrillateurs. Et au carrefour de l'art et de la maladie, un partenariat avec la Réunion des musées nationaux permet d'organiser des visites pour les malades d'Alzheimer et leurs aidants familiaux. « Nous associons en permanence les collaborateurs à nos actions, ajoute Anne-Marie Lasry. Nous leur demandons de participer aux collectes de l'Institut Curie. Mais nous les aidons aussi. Deux fois par an, nous lançons des appels à projets auprès des collaborateurs impliqués dans des actions et nous les soutenons. » Chez Swiss Life, on n'oublie personne. Même la gestion privée a son action. Elle concerne l'art contemporain. Ainsi, le prix Arcimboldo, qui consacre la création artistique photographique réalisée avec l'aide des nouvelles technologies, est parrainé depuis 2011.

On le constate, le mécénat empirique d'hier a cédé la place à des stratégies plus méthodiques et plus organisées. Il a aujourd'hui pris sa pleine place chez les assureurs comme ailleurs. Et certainement plus qu'ailleurs.

Motivations et domaines d'intervention

Les entreprises, tous secteurs confondus, ont d'abord le sentiment de contribuer à l'intérêt général, avant celui de leurs collaborateurs. Et si le sport arrive en tête des domaines d'intervention du mécénat, les entreprises y consacrent seulement 6 % de leur budget, contre 43 % dans les oeuvres sociales.

Le Christ de pitié soutenu par Saint-Jean (1405-1410). Un tableau attribué à Jean Malouel, acquis par l'Etat pour le Musée du Louvre, avec l'aide d'Axa à hauteur de 7 M€.

Trois façons d'être mécène : Groupama finance la recherche sur les maladies rares, l'association Axa atout coeur encourage le bénévolat de ses salariés et CGPA soutient la Fondation du patrimoine, qui a restauré le bourdon de la cathédrale Sainte-Croix d'Orléans.

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