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« La transaction avec Sanlam va renforcer notre présence africaine »

Publié le 23 août 2018 à 8h00

Thierry Gouby

David Vigier, directeur commercial et développement de Saham finances

Thierry Gouby
chef de rubrique

Dans un marché africain de l’assurance en pleine recomposition, Saham finances aspire à devenir un acteur de premier plan sur le continent. David Vigier, directeur commercial et développement de l’assureur, décrypte les enjeux et les ambitions de la compagnie.

Quels sont les challenges à venir sur le marché africain de l’assurance ?

Il y a quelques années, la législation en Afrique subsaharienne et notamment en zone CIMA* a imposé aux compagnies d’assurance et de réassurance opérant localement de retenir 25 % des risques IARD qu’ils souscrivent. L’esprit initial était de renforcer ces marchés en étoffant progressivement leurs équipes afin de gérer proactivement les risques ainsi retenus. Cela s’est traduit par une évolution sur le marché des risques d’entreprises où certaines compagnies locales sont passées d’un rôle de « fronting » pour les réassureurs européens pour les programmes d’assurance corporate à un rôle de porteur de risques en investissant en matière de souscription, gestion de sinistres, ou prévention. Le capital minimum obligatoire était en conséquence d’un niveau bas comparativement aux pratiques européennes (établit jusque-là à 1 Md de francs CFA soit environ 1,5 M€).

Cette tendance s’est poursuivie pour faire en sorte qu’une partie de la croissance de la zone y soit conservée en créant des marchés de l’assurance à même d’accompagner l’industrie locale et les filiales des groupes étrangers établies localement.

Ainsi, depuis avril 2016, la rétention obligatoire des compagnies d’assurance et réassureurs opérant dans la zone est passée à 50 % pour la quasi-totalité des branches IARD. Certaines branches comme le transport, l’auto ou les assurances de personnes doivent même faire l’objet d’une rétention de 100 % dans la zone. De fait, les acteurs locaux doivent conserver des parts de risques significatives à leurs bilans qui doivent inéluctablement se renforcer.

Passer de simple « fronteur » à porteur de risques est un changement de modèle profond et nécessite de renforcer ou d’acquérir certaines compétences sur les fonctions clés, démarche que Saham finances a entrepris de façon résolue depuis des années. Nous nous sommes dotés de ressources centrales et locales qui nous permettent aujourd’hui d’embrasser ces changements et de nous positionner en authentique assureur fort d’une expertise marchés et risques locaux que reconnaissent aujourd’hui nos clients et partenaires.

Justement, comment réagit le marché ?

Certains acteurs continuent à favoriser le modèle du fronting, ce qui devient néanmoins difficile dans le cadre de la réglementation actuelle. Cela pose par ailleurs des questions de soutenabilité de certains programmes d’assurance dans le temps.

Cette (r)évolution soulève également un enjeu de pédagogie vis-à-vis des marchés internationaux qui avaient l’habitude de se voir rétrocéder la majorité du risque. Dans cette perspective, une nouvelle étape sera franchie en avril 2019. A cette date, chaque assureur et réassureur opérant en zone CIMA devra justifier d’un capital minimal de 3 milliards de francs CFA (environ 4,5 M€). Le triplement du capital minimal est un effort significatif pour ces marchés. Et ce n’est qu’une étape intermédiaire jusqu’au 1er avril 2021 où l’exigence de capital minimal passera alors pour ces opérateurs à 5 milliards de francs CFA (environ 7,5 M€).

Quelles seront les conséquences ?

Les acteurs internationaux présents en zone CIMA disposent des ressources en capital nécessaires pour faire face à ces exigences. Pour ces entreprises cependant, cette mobilisation de capital va devoir être jaugée à l’aune de leur standard en matière de ROE (Return On Equity) au niveau de chaque entité. Avant d’injecter du capital supplémentaire, chaque filiale va devoir justifier son potentiel de retour sur investissement. Pour certains de ces groupes cotés où le poids, et les coûts associés, de leur compliance corporate vient s’ajouter à une baisse mécanique du ROE, il est fort possible que la question du maintien ou du développement de leurs réseaux soit à l’ordre du jour.

Pour les compagnies régionales ou panafricaines, la problématique est autre. La recherche du capital nécessaire pour se conformer à la réglementation et continuer à opérer au-delà d’avril 2019 peut s’avérer délicate. Mécaniquement, les petits opérateurs vont avoir du mal à suivre, voire survivre. Certains acteurs régionaux, mieux armés, devront également lever les capitaux nécessaires à l’heure où certains marchés ont récemment souffert de la chute du prix des matières premières et notamment du pétrole ce qui a eu un impact très important sur les niveaux d’encaissement.

Sur les 130 assureurs et réassureurs présents aujourd’hui en zone CIMA, seulement une vingtaine justifieraient aujourd’hui du niveau de capital minimum requis. De fait, nous allons probablement assister soit à des opérations de fusion (Merger & Acquisition), soit à des rachats de portefeuilles. Ainsi, 2019 sera le révélateur de la façon dont le marché africain de l’assurance peut se recomposer.

Est-ce une opportunité pour des groupes d’assurance européens, américains ou asiatiques d’entrer en Afrique ?

L’Afrique est un terrain de jeu particulier, multifacettes, ayant son propre modèle qui nécessite souplesse, agilité et adaptabilité. Si je n’exclus pas ce scénario d’ouverture, certains facteurs peuvent constituer un frein pour les acteurs internationaux, notamment en termes d’exigences qui sont les leurs en matière de grilles de compliance, difficilement transposables in extenso sur des marchés émergents comme les nôtres.

Cela pourrait s’avérer être une vraie barrière à l’entrée et il pourrait être compliqué pour de grandes compagnies internationales de dupliquer en Afrique des modèles rationnalisés, normés, notamment aux yeux d’actionnaires ayant des attentes plus à court terme qu’à long terme.

Dans ce contexte, l’entrée de Sanlam au capital de Saham finances va-t-il vous avantager ?

Saham finances est déjà un leader panafricain reconnu et doté des ressources financières pour accompagner ces changements réglementaires. Le partenariat avec Sanlam existe depuis 2016 et la transaction en cours va permettre de renforcer davantage notre présence africaine avec la mise en place à terme d’un réseau intégré sans équivalent opérant dans 33 pays du continent. Nos métiers et expertises sont en outre très complémentaires, ce qui laisse entrevoir un énorme potentiel pour accompagner nos clients et partenaires en termes de risk management et de solutions de transfert de risques tant pour les problématiques IARD que vie, santé et employee benefits.

* La Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMA) est l’autorité de réglementation régionale de l’industrie de l’assurance dans la plupart des pays de la zone francophone. Les quatorze pays membres sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la République d’Afrique Centrale, le Tchad, la République du Congo (Brazzaville), la Côte d’Ivoire, la Guinée équatoriale, le Gabon, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.

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