Interview de la semaine

« La quasi-totalité des acteurs perd de l’argent sur l’ensemble des segments de la branche »

Publié le 7 juin 2018 à 8h00    Mis à jour le 7 juin 2018 à 9h24

Thierry Gouby

Christophe Paulin, souscripteur aviation chez Beazley France

Thierry Gouby
chef de rubrique

Sur un marché de l'assurance aviation où la prime technique est au plus bas, l'entité française de l’assureur des risques spéciaux d’entreprises tente de tirer son épingle du jeu. Le point sur l'actualité du risque aviation et de Beazley France avec Christophe Paulin.

Quel est l’état général du marché de l’assurance aviation aujourd’hui ?

Depuis 2001 et les attentats du World Trade Center, événement où le marché a connu un ajustement du niveau de primes de l’ordre de 400 à 500 %, chaque année l’ensemble des segments de la branche enregistre des baisses allant de 5 à 20 %.

Résultat, en 2017, nous sommes arrivés au niveau de prime technique le plus bas jamais atteint alors que nos expositions augmentent sans cesse pour plusieurs raisons : le trafic aérien et les rotations augmentent avec des avions plus chers et qui transportent plus de passagers avec un taux de remplissage qui frôle aujourd’hui les 95 %. A titre d’exemple, pour une compagnie aérienne européenne de taille moyenne, il y a aujourd’hui près de 400 % de capacités disponibles.

Qu’est-ce qui pourrait inverser cette tendance ?

Nous avons constaté lors des renouvellements de décembre dernier et depuis le début d’année 2018 une légère augmentation des conditions tarifaires de souscriptions, ou a minima, un renouvellement des contrats à l’identique.

Ce durcissement du marché (aux Etats-Unis, à Londres et également en France) n’est pas encore généralisé et nous souhaitons éviter des ajustements des primes trop brutaux de 200 à 300 % qui pourraient conduire de nouveau à un cycle tarifaire baissier.

L’intégralité du marché est consciente que la quasi-totalité des acteurs perd de l’argent sur l’ensemble des segments de la branche et pour le bien des clients et de tous les assureurs, il faut que l’assurance aviation génère un minimum de profits.

Comment évolue la sinistralité ?

Les sinistres d’intensité restent faibles, notamment grâce aux acteurs du monde aéronautique qui appliquent des standards de sécurité drastiques et contribuent à la diminution du nombre d’accidents catastrophiques. A contrario, le niveau de sinistres atritionnels dépasse le volume de prime mondial collecté et par conséquent les assureurs du marché n’ont plus de réserves pour gérer la sinistralité de fréquence.

Rester profitable est le meilleur service que l’on puisse rendre à nos clients pour être présents au moment du règlement des sinistres. C’est pour cela que nous nous sommes montrés sélectifs ces derniers mois dans nos processus de souscriptions. Maintenir cette sélectivité nous permet de nous développer, notamment sur le marché français.

Par quoi passe cette sélectivité ?

Aujourd’hui, il n’y a pas de mauvais risques sur la branche aviation, mais des risques sous-tarifés. Notre stratégie a été jusqu’à présent de ne pas couvrir les compagnies aériennes majeures (transporteurs nationaux), les gros aéroports ni les constructeurs d’avions, car les conditions tarifaires actuelles ne nous permettent pas d’être profitables. Au même titre que l’aviation d’affaires, qui demande aujourd’hui de très grosses capacités pour des niveaux de primes incroyablement faibles. Nous sommes aujourd’hui très prudents sur ces segments.

Par contre, nous avons l’appétit et l’expertise sur l’aviation générale, les opérateurs commerciaux, les hélicoptères et les aéroports ou constructeurs de taille moyenne. En France, notre portefeuille est composé sur l’aviation générale à 40 % d’opérateurs d’hélicoptères et à 60 % de voilures fixes pour environ 15 M€ de capacités disponibles en corps et 150 M€ en RC. Nous avons également un consortium dédié au marché français qui nous permet de déployer un peu plus au besoin.

Même si de fait nous souscrivons généralement 100 % des affaires inférieures à 100 M€ de capacités requises, nous sommes ouverts à la coassurance dès que cela a du sens.

Les sinistres médiatiques, tels que celui du vol 370 de la Malaysia Airlines, ont-ils un impact sur le marché ?

Au-delà de l’aspect médiatique, ce type de sinistre est facilement absorbable par le secteur de l’assurance aviation. Toutefois, il s’agit du seul marché où l’on donne au client des limites de garanties de l’ordre de 5 à 6 Md€, c’est-à-dire un multiple de la prime mondiale souscrite (moins de 2 Md€).

Un seul sinistre pout représenter trois fois la prime mondiale de l’ensemble des segments. L’exemple de la jeune danseuse Tierney Darden, paralysée suite à l'effondrement d'un abri à l'aéroport de Chicago en 2015, est criant. Elle a été indemnisée à hauteur de 148 M$, soit dix à quinze ans de prime mondiale juste pour la couverture des aéroports [après que la ville ait fait appel, la somme a été fixée à 115 M$, NDLR].

Quelles sont les ambitions de Beazley sur le marché tricolore de l’aviation ?

Nous avons commencé cette activité dans l’Hexagone il y a un an avec comme but de dupliquer sur le marché français, avec une expertise locale, notre connaissance du marché mondial acquise depuis Londres.

Aujourd’hui, nous apéritons en France la moitié des affaires souscrites et nous enregistrons un volume de prime d’environ 2 à 3 M€, soit environ 5 % de l’activité aviation du groupe. Notre objectif est de doubler ce volume de prime annuellement sur les cinq prochaines années et faire que la France pèse à terme un quart du volume aviation de Beazley (à périmètre constant).

Le marché est-il prêt face à de nouvelles menaces comme le risque cyber ?

Il existe aujourd’hui des solutions d’assurance pour le risque cyber en aviation, mais ce sont plutôt les acheteurs et les clients qui n’ont pas encore correctement identifié et quantifié cette menace.

Dans les faits, le hacking d’un avion nécessite des ressources que même un Etat aurait du mal à mobiliser et nous n’anticipons pas ou peu une prise de contrôle d’un appareil à distance. Par contre, les attaques cyber sur les infrastructures de réservation de billets, sur les programmes informatiques des tours de contrôle ou sur les systèmes de gestion des passagers d’un aéroport, sont bien réelles et nous intégrons ces nouvelles menaces dans nos contrats.

Concernant le risque terroriste, les récentes attaques des aéroports de Bruxelles ou de Tripoli ont fait émerger un problème de délimitation des garanties entre risque aviation et risque terrestre qui varie suivant la configuration des terminaux. Enfin, d’autres risques vont émerger d’ici peu avec l’intégration des UAV (unmanned aerial vehicle) comme les drones dans un espace aérien déjà congestionné.

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