Interview de la semaine

« La fin des désignations a figé le marché des branches professionnelles »

Publié le 27 avril 2017 à 8h00    Mis à jour le 27 avril 2017 à 18h38

Stéphane Tufféry

 Jérôme Bonizec, directeur général d’Adéis

Stéphane Tufféry
rédacteur en chef

Le directeur général d'Adéis, l'entité dédiée aux branches professionnelles pour le compte de ses institutions membres, dresse un premier bilan de l'ANI assez paradoxal. Où la bataille victorieuse pour davantage de concurrence et de fluidité sur le marché de la santé-prévoyance collective a plutôt tendance à geler les forces en présence.

Quelle est l’actualité du marché de la santé-prévoyance des branches professionnelles travaillé par Adéis ?

C’est l’heure du premier bilan de la fin des désignations et de l’instauration des clauses de recommandations. Et le constat est assez paradoxal de mon point de vue ; la doxa de la concurrence et du libre choix de l’entreprise qui entendait fluidifier le marché de l’assurance collective des accords de branches, et qui a peut-être influencé la décision de censure des clauses de désignation, donne plutôt un résultat inverse. Alors qu’en moyenne les branches professionnelles passaient chaque année plus d’une vingtaine d’appels à concurrence depuis plus de quinze ans, notamment pour le renouvellement de leur(s) assureur(s), il n’y en a eu que huit en 2016 et nous en attendons pour l’instant 4 à 5 cette année. Certes, il y a eu 60 appels à concurrence en 2015, mais c’était essentiellement pour la mise en place de la généralisation de la couverture santé d’entreprise. S’agissant des renouvellements de régimes de branche préexistants, ce que l’on voit en lieu et place d’une plus grande fluidité, c’est un marché totalement figé.

Pourquoi ?

Avant tout parce que les partenaires sociaux n’ont plus le pouvoir de décider d’un transfert de portefeuille et donc de la « mutualisation de branche » d'un assureur vers un autre, et ce en raison de la fin des clauses de désignations : chaque entreprise de la branche est totalement libre du choix de son assureur et les assureurs anciennement désignés peuvent conserver leurs clients acquis dans la branche. La perte de pouvoir est donc évidente pour les partenaires sociaux. D’autre part, organiser un appel à concurrence c’est fastidieux, coûteux et même risqué pour la mutualisation d’un régime de branche professionnelle. Il faut notamment communiquer « sur la place » toutes les informations statistiques du régime et les comptes techniques, le cœur du réacteur, sans aucune garantie d’avoir une réponse des assureurs ayant retiré le cahier des charges. L’appel à concurrence, et toutes les informations qu’il contient, peuvent donc présenter un risque en suscitant l’émergence d’offres concurrentes de celle du ou des recommandés, pouvant par contre intégrer librement une sélection des profils de risque les plus intéressants pour les assureurs non recommandé, et affaiblissant d’autant la mutualisation du régime de la branche. A titre d’exemple, depuis 2015, on constate qu’un grand nombre d’assureurs retire les cahiers des charges mais la moitié seulement formule une réponse. Nous constatons que les écarts sont notables sur ce point selon les familles d’assureurs : quand les institutions de prévoyance et mutuelles répondent respectivement de 6 et 4 fois sur 10 dossiers retirés, ce ratio tombe à 2 fois sur 10 pour les sociétés d’assurance. Ainsi, il peut devenir contre-productif pour une branche de faire un appel à concurrence, vous l’aurez compris... La prudence est actuellement le maître mot chez bon nombre de partenaires sociaux.

Et sur le plan tarifaire ?

C’est la même logique paradoxale qui est en train de s’appliquer. Accroître la concurrence dans l’objectif de faire baisser le niveau des cotisations des régimes collectifs va se traduire en réalité dans nombre de cas par la hausse progressive des coûts à la charge de l’entreprise et du salarié.

Là encore, c’est un effet induit de la fin des désignations : les coûts d’acquisition progressent significativement et doivent en outre être amortis sur une base de clients moins large que par le passé. Alors que précédemment, une entreprise n’ayant pas mis en place de régime prévoyance ou frais de santé devait rejoindre le ou les assureurs désignés, aujourd’hui il n’y a plus ce caractère obligatoire et automatique avec les recommandations. Il faut donc convaincre chaque entreprise de vous confier sa couverture et cet effort de commercialisation représente une charge supplémentaire pour l’assureur recommandé (communication, acte de vente…). In fine, les taux de chargement progressent sur le marché et seront répercutés tôt ou tard sur les assurés. A titre d’exemple, nous avons dû majorer de 20 % nos chargements sur les affaires nouvelles dans les branches depuis 2015, par rapport à ceux pratiqués du temps des désignations, et nous devrions pratiquement les majorer encore pour accompagner pleinement l’investissement commercial nécessaire.

Pourquoi ce résultat inverse à celui escompté par les détracteurs des désignations ?

Simplement parce qu’en collectives dans les branches, le marché était certes moins concurrentiel sur le terrain qu’aujourd’hui, une fois passé l’étape du choix de l’assureur désigné avec généralement une mise en concurrence, mais très transparent pour les décideurs de la branche une fois le régime mis en œuvre. Si certains observateurs parlaient de monopole organisé, il était aux mains du client, les partenaires sociaux de la branche qui disposaient déjà de toute l’information technique sur l’équilibre de leurs régimes, les chargements négociés avec l’assureur, ce qui leur permettait de piloter avec efficience et donc avec le meilleur retour sur cotisations à leurs yeux. A l’inverse du marché individuel ou du petit collectif hors régimes de branches, le marché des accords de branches ne dégageait donc pas de marges importantes ; accentuer la compétition et les coûts d’acquisition va de fait augmenter le prix final pour l’entreprise et le salarié comparé à ce qu’ils payaient en régime de désignation. L’étude sur les chargements des assureurs santé, publiée par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) en janvier dernier illustre bien ce propos.

Quelles sont vos priorités pour l’exercice en cours ?

En 2017, notre activité porte particulièrement sur le développement de services de prévention et de solidarité à mettre en place dans les régimes de recommandation frais de santé et/ou prévoyance.

Pour définir ces prestations, nous travaillons en étroite collaboration avec les partenaires sociaux des branches que l’on accompagne afin de faire bénéficier les entreprises et leurs salariés des services adaptés à leurs besoins spécifiques. Cela se traduit par exemple par des campagnes de prévention des risques routiers pour la branche des entreprises du froid, des troubles musculosquelettiques (TMS) des salariés, pour les branches de l’esthétique ou du commerce de détail de la chaussure, ou encore un service d’écoute et d’accompagnement social à destination des salariés isolés que sont les employés et gardiens d’immeubles. C’est un axe stratégique majeur pour Adéis et ses assureurs membres dans le cadre de notre accompagnement de la protection sociale des branches.

Quel bilan faites-vous d’Adéis depuis sa création en 2011 ?

Adéis va boucler 2016 avec un chiffre d’affaires suivi pour le compte de ses membres qui devrait dépasser 400 M€ exclusivement réalisés sur les régimes de branches professionnelles, pour 1,7 million de salariés couverts. Au total, nous travaillons maintenant avec 70 branches pour lesquelles nous suivons 39 régimes frais de santé et 66 régimes de prévoyance.

C’est 10 branches de plus qu’à la création d’Adéis voilà cinq ans à l’initiative de nos membres et au total 23 nouveaux accords en frais de santé et 6 en prévoyance. C’est donc un bilan très favorable pour le groupement paritaire Adéis, ses 18 collaborateurs et ses institutions membres*.

* Apicil Prévoyance, Ciprev, Humanis prévoyance, Ipsec

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