Contentieux

La faute inexcusable dans l’angle mort des entreprises

Publié le 12 octobre 2023 à 8h30

Juliette Lerond-Dupuy    Temps de lecture 5 minutes

Alors que le risque de faute inexcusable de l’employeur est susceptible de contraindre une entreprise à déposer le bilan, elles sont encore trop peu à être couvertes pour ce risque selon l’enquête du cabinet BDO sur les accidents du travail et maladies professionnelles.

« À travers nos baromètres, nous observons que la méconnaissance des entreprises face à la gravité de la faute inexcusable s’étend d’année en année, tout en se confrontant à un système très répressif », lance Xavier Bontoux, avocat associé BDO, spécialiste en droit du travail et de la sécurité sociale. À l’occasion de la présentation du Baromètre de la gestion des accidents du travail/maladies professionnelles, mené en juin 2023 par OpinionWay auprès de 301 entreprises du secteur privé (industrie, transport, BTP, agriculture, finance, énergie), le cabinet BDO s’est notamment intéressé à la question de la faute inexcusable de l’employeur.

Dans le prolongement d’un accident du travail, cette action correspond au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. L’intérêt pour la victime de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur est d’obtenir la réparation de ses préjudices et la majoration portée à son maximum de sa rente. Selon les 301 répondants, aucune action en reconnaissance de faute inexcusable n’aurait été engagée en 2022.

« Ce n’est absolument pas crédible. Plus de huit entreprises sur dix ont été confrontées à au moins un accident de travail, de trajet et maladies professionnelles de leurs salariés. Cette réponse est bien évidemment à relativiser. Ce contentieux est en fait en plein essor. Manifestement, il traduit plutôt une méconnaissance de la notion d’action en faute inexcusable de la part des sondés », décrypte Xavier Bontoux. Le cabinet a ainsi vu le nombre de dossiers engagés chaque année tripler en cinq ans.

Un risque sous estimé

Alors que seulement 52 % du panel représentatif sondé disposent d’une assurance couvrant ce risque, lequel est intégré dans la RC générale de l’entreprise, le cabinet BDO alerte sur les conséquences financières d’une faute inexcusable (connues par seulement 53 % des répondants). « L’indemnisation civile allouée aux salariés et imputée à l’employeur est extrêmement élevée. Elle peut atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros, loin des indemnités dans le cadre des prud’hommes où la moyenne est plutôt aux alentours de 30 000 € », indique Xavier Bontoux.

En cas de faute inexcusable, l’employeur est condamné à payer une indemnisation au titre de tous les postes de préjudices du salarié. « Ce contentieux devient de plus en plus important car chaque année de nouveaux préjudices sont invoqués », commente-t-il. À cela s’ajoute une rente calculée sur la base des séquelles du salarié et se traduit par un pourcentage du salaire. « Les entreprises sont alors confrontées à deux problèmes. D’une part, on ne leur indique pas toujours quelle sera la somme réelle totale à verser au salarié. D’autre part, à partir de calculs actuariels, l’indemnisation totale est due en capital immédiatement », souligne Xavier Bontoux.

Le cabinet rappelle que s’assurer pour ce risque est autorisé voire préconisé. « On aurait pu penser compte tenu de la définition presque infamante de la faute inexcusable que s’assurer ne soit pas possible comme pour le risque pénal pourtant le Code de la sécurité sociale prévoit expressément que l’employeur puisse s’assurer. Sûrement parce que le législateur a pris en compte l’ampleur des conséquences pour une entreprise », poursuit-il. La signature d’un « accord en faveur de la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels » étant obligatoire, un accident du travail survenu dans une entreprise qui en serait dépourvue pourrait automatiquement être jugé comme faute inexcusable. En 2022, six RH sur dix déclarent que leur entreprise n’en dispose pas.

Le PLFSS 2024 prié de réduire les frais

Le cabinet d’avocats BDO alerte sur deux mesures du PLFSS 2024 qui pourraient entraîner une moindre indemnisation des victimes d’accidents du travail dans le cadre d’une faute inexcusable. L’article 39 du PLFSS 2024 modifie la règle de la majoration de rente en cas de reconnaissance d’une faute inexcusable tandis que l’article 27 prévoit une suspension du versement des indemnités journalières dans le cas où le médecin contrôleur mandaté par l’employeur conclut au caractère injustifié de l’arrêt. « L’employeur a déjà la possibilité de dépêcher un médecin pour contrôler le salarié. Si le médecin estime que l’arrêt n’est pas justifié, cela n’a de conséquence que sur le complément employeur mais n’engage pas la Sécurité sociale. Dans le projet de loi, le médecin mandaté par l’employeur pourrait également avoir des conséquences sur les indemnités versées par la Sécurité sociale. Nous nous trouvons ici sur un terrain glissant », analyse Xavier Bontoux, avocat associé BDO, spécialiste en droit du travail et de la sécurité sociale.

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