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La consolidation à marche forcée

Publié le 14 mai 2021 à 8h00

Geneviève Allaire

Le mouvement de consolidation s’est poursuivi l’an dernier. La crise de la Covid-19 n’a pas ralenti les opérations dans les trois familles de l’assurance et les a même accélérées dans le courtage.

Geneviève Allaire
journaliste

Le cru 2020, pourtant si particulier, comptabilise une trentaine d’opérations de fusions-acquisitions et de rapprochements dans le paysage français de l’assurance. Un nombre d’opérations comparable à celui de 2019. Pour autant, il n’en a pas été de même sur l’ensemble des secteurs d’activité en France : un grand nombre d’opérations a été repoussé ou abandonné, lors du premier semestre 2020, d’où une baisse de 40 % à 50 % des transactions tous secteurs confondus sur l’exercice.

En assurance, « les deux-tiers des opérations se sont déroulées dans la sphère de la distribution ou du courtage car le marché était bien présent, avec des demandes constantes des clients et la crise de la Covid-19 a même accéléré les opérations. Du côté des assureurs, ils ont poursuivi leur recentrage stratégique et leur politique de croissance externe car le secteur n’a pas subi tellement d’impacts de la crise », résume Vincent Rapiau, associé financialM&ATransaction Services secteur assurance de Deloitte. Parmi les opérations les plus emblématiques, le grossiste April a revendu ses deux compagnies pour se recentrer sur son métier de courtier et a cédé Axéria prévoyance à Malakoff Humanis et Axéria IARD au bermudien Watford. À l’échelle internationale, Willis Towers Watson est en train d’être acquis par Aon. Le dossier est en cours d’examen devant la direction générale de la concurrence de la Commission européenne et a pris du retard parce que des documents n’ont pas été remis dans les temps à l’institution. Ce mariage placerait le nouvel ensemble loin devant la concurrence tant en France qu’à l’international et rebattrait les cartes. « Dans le courtage, un grand nombre de structures sont de taille réduite et ont besoin de se diversifier, deux éléments qui poussent à la consolidation. De plus, les grands fonds d’investissement qui allaient assez peu vers le courtage d’assurance, coûteux à l’achat, font évoluer leur perception. Les investisseurs savent que les gains ne sont pas considérables mais qu’ils sont constants. En plus d’être devenu attractif, le courtage est donc rassurant, observe Luc Grynbaum, avocat of counsel du cabinet De Gaulle, Fleurance et associés. Chez les assureurs et les mutuelles, Solvabilité II et les contraintes réglementaires vont continuer à pousser aux rapprochements. »

Une vente qui s’éternise

Dans les filiales d’assurance des groupes bancaires, des mouvements de restructuration s’observent. Mais c’est la vente d’HSBC assurances, qui s’éternise en dépit de la manifestation d’intérêt de plusieurs candidats à la reprise, qui anime le marché. Faute d’avoir la taille critique, la banque préfére allouer ses fonds propres sur les lignes métiers et les zones géographiques où elle est déjà bien positionnée. Autre opération d’envergure sur le marché français, celle de la naissance d’un bancassureur public à travers la réorganisation de la détention du capital du groupe La Poste et de CNP assurances sous forme de transferts internes. Elle devrait être finalisée au second semestre 2021.

« La crise a accentué la nécessité d’accélérer la transformation des business models, ce qui nécessite des investissements importants sur les segments préférentiels et de potentielles restructurations pour les segments moins rentables. La rentabilité des portefeuilles d’assurance vie, qui est significativement impactée par l’environnement de taux bas, pousse certains groupes à les restructurer ou à les vendre. C’est notamment le cas d’Aviva avec la cession en cours de sa filiale française à Aéma », note Maxime Simoen, associé chez Mazars. En effet, la vente, annoncée fin février, valorise Aviva France 3,2 Md€. Au moins deux autres acquéreurs étaient sur les rangs, Allianz et Generali. Ce rachat doit permettre à Aéma de figurer dans le top 5 des assureurs du marché hexagonal. Il concerne les activités d’assurance générale et de gestion d’actifs en France, les activités d’assurance vie et la participation à hauteur de 75 % dans l’Union financière de France (UFF). « En raison de l’importance du portefeuille d’Aviva France, cette opération est incontestablement un événement pour le marché français. Un événement susceptible de faire évoluer le regard négatif que portent certains sur l’épargne en France », a souligné Jean-Paul Faugère, vice-président de l’ACPR, lors d’une conférence de l’Association nationale des journalistes de l’assurance (Anja) en mars dernier.

Déficit d’image

Le segment de l’assurance vie pâtit en effet d’un déficit d’image en raison de résultats en baisse et d’un faible niveau de marge notamment du fait des taux bas. « Si certains acteurs ont lancé des cessions en assurance vie, 2020 n’a pas été le théâtre de nombreuses ventes car le secteur attendait de voir ce qu’il adviendrait de la partie épargne d’Aviva », précise Vincent Rapiau. Les porteurs de risques détenant des portefeuilles anciens d’assurance vie en euros peuvent se voir contraints de rechercher des appuis financiers lorsqu’ils considèrent ne pas avoir la taille critique. Les cessions de portefeuille vie en run-off se multiplient ces dernières années. Dernier exemple en date en août 2020, Allianz a transféré un portefeuille d’assurances vie à Monument Re qui comptabilisait 95 000 contrats commercialisés jusqu’au début du siècle en Belgique.

En prévoyance, la situation est tendue sur certains contrats collectifs avec une nouvelle hausse de la sinistralité sur les garanties arrêt de travail. En santé, la situation des organismes complémentaires est moins homogène mais, habitués des rapprochements, les mariages devraient encore s’accélérer entre acteurs de l’économie sociale et solidaire dans les années à venir pour procéder à des économies d’échelle ou accélérer leur transformation. Le dernier exemple en date concerne le projet de rapprochement entre la mutuelle Intériale et AG2R La Mondiale. « Avec Solvabilité II, les groupes de protection sociale (GPS) sont tenus à une gestion de leurs fonds propres plus stricte qu’auparavant, dans un environnement très concurrentiel sur leur activité principale de prévoyance collective. Certains sont ainsi enclins à diversifier leurs activités ou à améliorer leur rentabilité via des partenariats ou adossements », pointe Maxime Simoen.

La création conjointe par Klésia et Generali d’une société anonyme d’assurance à mission, annoncée en juillet dernier, s’inscrit dans cette tendance. Un projet sous-tendu par la volonté des deux acteurs issus de deux familles différentes, une société anonyme et une institution de prévoyance, d’allier leurs savoir-faire sur le marché des collectives pour en être un des opérateurs de référence. Une initiative qui laisse songeur quant à la nécessité de fonctionner avec trois codes au sein du secteur de l’assurance en France. « Si la directive Solvabilité II est un corps doctrinal de référence commun à tous les organismes d’assurance, je sais combien l’identité politique des familles de l’assurance est un élément important, notifie Jean-Paul Faugère. L’ACPR se doit de tenir compte de ce paysage et il lui appartient de s’assurer que les conditions d’exercice entre organismes sont homogènes. » À l’inverse de ces rapprochements trans-codes, l’alliance de Malakoff Médéric avec Humanis, qui s’est concrétisée sous l’appellation de Malakoff Humanis début 2020, a vu s’unir deux acteurs régis par le Code de la sécurité sociale. « C’est peut-être leur spécialisation extrême qui a conduit à ce mariage de raison. C’est l’inverse d’un processus de diversification », relève Luc Grynbaum.

Solidarité financière

« Afin de s’ouvrir à des segments de marché, des mutuelles du Code des assurances créent des sociétés anonymes. De même, en vue d’offrir des produits qu’elles ne peuvent spontanément proposer, des entités mutualistes montent des filiales ayant le statut de société anonyme ou rachètent des cabinets de courtage », illustre Luc Grynbaum. La France mutualiste ou le groupe Prévoir en sont des exemples. Autre possibilité ouverte aux mutuelles et aux GPS, la création de sociétés de groupe d’assurance mutuelle (SGAM) permet à leurs affiliés d’encadrer leurs relations d’affaires et d’organiser leur solidarité financière. C’est Covéa qui a initié le mouvement voilà des années, suivi depuis par de très nombreux assureurs. Tel est le cas d’Aéma groupe, créé le 1er janvier dernier, et résultant de l’alliance entre la mutuelle Aésio et la société d’assurance mutuelle Macif. Exerçant un rôle de pilotage et de contrôle, la SGAM d’Aéma fixe les orientations stratégiques et en assure leur bon déroulement au sein du groupe. L’UMG Aésio-Macif en charge des activités santé et prévoyance et la SAM (société d’assurance mutuelle) Macif en charge des activités IARD et finance-épargne lui sont affiliées, et œuvrent à l’opérationnel. « Si la crise sanitaire, notamment en raison de la forte instabilité qui en a résulté, a pu ralentir un temps le mouvement de consolidation du secteur, elle devrait in fine contribuer à en accélérer le rythme. Au gré des opportunités qu’offrira le marché, nous allons continuer à voir apparaître de nouveaux ensembles pilotés par des structures faîtières comme les Sgam ou les unions mutualistes », anticipe Julien Madec, directeur en charge des activités conseil pour le secteur assurance chez CGI Business Consulting.

« Le segment IARD a bien résisté durant la crise. Il en résulte une absence de perspective claire dans les fusions et acquisitions, le nombre d’acheteurs étant bien plus élevé que celui des vendeurs. Plusieurs acteurs étaient ainsi sur les rangs pour acquérir la partie non-vie d’Aviva », relate Vincent Rapiau. En revanche, des opportunités d’opérations pourraient apparaître en assurance crédit du fait de la situation à risques de ce segment avec la hausse des défaillances d’entreprises attendue. Avec la création de la cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à la perte d’autonomie et notifiée dans la loi de financement de la Sécurité sociale 2021, « de nouvelles dispositions légales relatives à la dépendance pourraient ouvrir le champ des possibles et favoriser les rapprochements, tout comme le risque cyber qui requiert d’importantes capacités », souligne Mathieu Bichon, avocat associé chez De Gaulle Fleurance et associés.

Projet stoppé net

Après avoir annoncé sa volonté d’acquérir pour 9 Md€ le réassureur Partner Re, Covéa a vu son projet stoppé net par la crise sanitaire. En lieu et place, le groupe a signé en août 2020 un accord-cadre de financement avec le groupe Exor (holding de Partner Re) et un accord de partenariat de réassurance pour un montant total d’1,5 Md€ jusqu’en 2024. « Les partenariats sont appelés à se multiplier parce que l’assurance répond avant tout à la notion de service. L’autorité de supervision est peu encline à ce type d’association parce qu’elle considère que l’assurance est une activité de capital et non de service. Or, en droit, rien ne l’interdit », analyse Luc Grynbaum. C’est ce qui a motivé l’accord de partenariat signé entre le Crédit agricole assurances et Europ assistance en octobre 2020. Cet accord se traduit par une prise de participation de Pacifica, filiale d’assurances dommages de Crédit agricole assurances à hauteur de 50 % du capital d’Europe assistance France. Certains opérateurs indépendants, des mutuelles actives en épargne le plus souvent, poursuivent leur chemin en solo car elles en ont les moyens et disposent de fonds propres importants. Cette situation financière leur permet de se maintenir plusieurs années, même si certaines font face à des pertes techniques. « Des mutuelles de taille moyenne sont courtisées par des groupes en vue d’un rapprochement mais elles s’y refusent car elles ont encore les moyens de leur indépendance. Toutefois, les portefeuilles affinitaires s’érodent au fil du temps et leur rapprochement est une trajectoire inéluctable », indique Vincent Rapiau.

Finalement, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », comme le disait le chimiste Antoine Lavoisier.

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