fonds propres

Jauger la solvabilité d'un assureur : un art difficile

Publié le 20 février 2020 à 8h00

Henri Debruyne, président du Medi

La solidité financière des organismes d’assurance devient un sujet de préoccupation. Si une excessive inquiétude n’est pas de mise, les contraintes générées par un environnement mouvant appellent à la vigilance. Mais comment ?

Henri Debruyne, président du Medi
Romaric Chalendard, actuaire IA, président Castom

La veille de Noël, les pouvoirs publics ont pris, quasiment dans l’urgence, la décision de permettre aux compagnies d’assurance de conforter leur solvabilité en y intégrant les réserves (provisions pour participations aux bénéfices - PPB) des contrats d’assurance vie dans le calcul de leurs capitaux propres. Un arrêté signé le 24 décembre par le ministre de l’économie Bruno Le Maire valide cette faculté en cas de défaillance. Cette disposition ne pourra être mise en œuvre qu’en situation de grande difficulté avec l’accord de l’ACPR et l’élaboration d’un plan d’action pour restaurer la situation. En l’occurrence, cela pourrait s’apparenter à un coup de trompette pour souligner une position potentiellement critique avec le risque d’aggraver une situation à l’évidence déjà compromise. Bien avant d’en arriver là, l’évolution de la marge de solvabilité doit alerter les dirigeants, les actionnaires, le régulateur et le marché d’une réalité devenue périlleuse. Car les outils existent et leur sérieux n’est pas contestable. Mais ils se heurtent à plusieurs difficultés. La première repose sur la norme qui a laissé une large place à des adaptations variables d’un organisme à l’autre. La seconde difficulté est celle de l’interprétation de cette norme, c’est-à-dire de la marge de solvabilité.

Les modèles de calcul sont fiables, le régulateur y veille. Mais cela n’a pas empêché, dans la période récente, des défaillances d’assureurs étrangers opérant sous le régime de la libre prestation de services (LPS). Elles se sont traduites par des procédures de liquidation laissant dans de grandes difficultés nombre d’assurés. L’insuffisance des régulateurs de certains États est montrée du doigt ainsi que la coordination entre les superviseurs. Il y a clairement une faille dans le dispositif.

Solidité financière

Nous avions oublié que cela pouvait arriver. La faillite d’un assureur était sortie de la mémoire collective. L’action du régulateur à travers le temps a permis d’éviter les catastrophes et, lorsque le redressement n’était pas possible, de faciliter une solution, généralement de place. Or, la situation financière n’a jamais été délicate pour les assureurs au point de peser fortement et longuement sur les activités et de menacer leurs équilibres. Le risque de taux, bien qu’évoqué de temps en temps, était perçu comme une simple éventualité sans réelle menace. Tout ceci est bien derrière nous. Les situations les mieux installées peuvent être contestées par la réalité et vite. Aussi, surveiller la sécurité financière des assureurs est devenu indispensable au nom de l’information due aux clients. Néanmoins, évaluer la solvabilité d’un assureur est un travail sinon d’expert, tout au moins d’initié. La transparence est un impératif, mais elle est chose complexe. Rendue obligatoire sous Solvabilité II, le considérant 38 de cette directive précise notamment qu’« afin de garantir une transparence, les entreprises d’assurance […] devraient publier […] les informations essentielles concernant leur solvabilité et leur situation financière ».

Délicate comparaison

De prime abord, la solvabilité d’un assureur semble être facile à appréhender via son ratio de solvabilité réglementaire. Cependant, un tel indicateur s’éloigne parfois de la réalité. Il est aussi difficilement comparable entre assureurs : un même ratio peut refléter des situations très diverses. Ceci s’explique en particulier par l’existence de mesures transitoires, modèles internes, paramètres propres, mais aussi la possibilité nouvelle d’intégrer la PPB dans les fonds propres et les libres interprétations de certains textes réglementaires.

Tout d’abord, deux types de ratios de solvabilité coexistent : le ratio de solvabilité du MCR et celui du SCR. Le premier, généralement largement supérieur au second, est à visée administrative : s’il devient inférieur à 100 %, l’assureur ne peut plus exercer son activité. Le second ratio est plus ressemblant à la réalité. Il rapproche les fonds propres de l’assureur des risques encourus. Ainsi, il reflète une vision plus précise de la solvabilité de l’assureur. C’est donc le ratio le plus pertinent à analyser.

Aussi, afin d’étaler sur plusieurs années les impacts du passage de Solvabilité I à Solvabilité II, des mesures transitoires ont été mises en place. Par exemple, l’article L.351-5 du Code des assurances permet aux assureurs, sous réserve de l’approbation préalable de l’ACPR, d’appliquer une déduction transitoire aux provisions techniques. Ce mécanisme peut accroître très significativement le ratio de solvabilité. À titre d’illustration, le groupe AG2R La Mondiale faisait état au 30/06/2019 d’un ratio de solvabilité avec mesures transitoires de 185 %. Hors ces dispositions, le ratio s’élevait à 125 % (soit une diminution de 60 points). Du côté du groupe Groupama, l’impact de la mesure transitoire sur les provisions techniques à cette même date atteignait +117 points (ratio de solvabilité de 269 % avec mesure transitoire contre 152 % sans ce dispositif).

Par ailleurs, certains mécanismes (modèles internes et paramètres propres) permettent de s’affranchir (partiellement ou totalement) du modèle de calcul général. Souvent utilisés par les grands assureurs internationaux (Allianz, Aviva, Axa, Generali…), ils peuvent impacter assez fortement le ratio de solvabilité. Par exemple, le modèle interne partiel de la Coface lui permettrait d’accroître d’environ 18 points son ratio de solvabilité (vu au 31/12/2018).

Formule standard vs modèle interne

En outre, Solvabilité II octroie aux assureurs une certaine liberté dans son interprétation. Plus précisément, sous réserve de justifications formalisées réalistes, les fonds propres peuvent parfois être indirectement augmentés et/ou le SCR diminué (par rapport à une absence d’argumentation). Par exemple, au 31/12/2018, Suravenir baissait d’environ 30 % son SCR à travers l’ajustement visant à tenir compte de la capacité d’absorption de pertes des impôts différés. Cette substantielle réduction de SCR, vraisemblablement supérieure à celle obtenue avec des méthodologies généralement usitées, se justifiait selon l’assureur par « la convention d’intégration fiscale entre Crédit mutuel Arkéa et Suravenir ». Enfin, le ratio de solvabilité ne semble pas pleinement représentatif des risques et des fonds propres des assureurs : il n’intègre pas tous les risques auxquels ils sont soumis. En particulier, la qualité de crédit des pays de l’Union européenne, la liquidité, la baisse des taux en territoires encore plus négatifs sont ignorés par l’actuel cadre réglementaire standard.

Indicateurs

La marge de solvabilité constitue un indicateur précieux et somme toute fiable. Sa limite est marquée, toutefois, par la compréhension des données qu’elle recèle, la difficile voire parfois impossible confrontation à celles des concurrents sur un marché donné. Sans oublier qu’il est important, dans des activités longues comme celle de l’assurance, d’acquérir la conviction que le niveau atteint aujourd’hui, soutenu par un ratio convenable, est pérenne. C’est-à-dire que, toutes choses égales par ailleurs, il est raisonnable de penser que les résultats acquis à ce jour vont perdurer. Au moment où s’est ouverte une nouvelle phase de discussion autour de Solvabilité II, il n’est pas inutile de réfléchir à la manière de rendre les informations compréhensibles sinon par les clients au moins par les intermédiaires et les distributeurs d’assurance. En effet, il ne suffit pas de publier, il faut s’attacher à vulgariser l’information avec un esprit critique. C’est à ce prix que le regard des clients changera.

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