Interview de la semaine

« IFRS 17 requiert une technicité actuarielle qui implique une montée en compétences »

Publié le 7 décembre 2017 à 8h00

Anne-Bénédicte Hoche

Erwan Codet, directeur EY, et Vincent Dupriez, associé EY

Anne-Bénédicte Hoche
journaliste

A trois ans de l’entrée en vigueur d’IFRS 17, les deux experts EY reviennent sur les implications pour les assureurs de ces nouvelles normes comptables.

Quels sont selon vous les enjeux majeurs d’IFRS 17 ?

Vincent Dupriez : Ils sont essentiellement de deux natures. En termes de pilotage, il y a un changement de paradigme, on passe d’une comptabilisation des contrats d’assurance s’appuyant sur les Local Gaap à une comptabilisation de type « fair value » prospectif. Comment dans ce référentiel maîtriser ses états financiers, assurer la cohérence des chiffres ? Le deuxième enjeu est opérationnel : comment implémenter les nouvelles réglementations comptables, dans un délai très court et à un coût maîtrisé ?

Erwan Codet : J’insisterais également sur le pilotage de l’entreprise qui s’en trouvera modifié, avec la nécessaire question de la maîtrise de la volatilité du résultat. Notons par ailleurs un impact possible sur le business : la norme mettra notamment en relief les contrats déficitaires.

Quelles sont les principales difficultés de mise en œuvre pour les assureurs ?

VD : Il y a d’abord les difficultés opérationnelles, l’ensemble des changements devant être intégrés sur un temps, trois ans, très court au regard des transformations à engager. La norme est par ailleurs complexe, elle requiert une technicité actuarielle qui implique une nécessaire montée en compétences pour en comprendre et en maîtriser les mécanismes. C’est une norme très actuarielle. Pour ceux qui ont baigné dans Solvabilité II, le gap est raisonnable. Pour les autres, il sera très important.

EC : En effet, au sein des équipes comptables et de contrôle de gestion, certains n’ont pas ou peu été sensibilisés à Solvabilité II. Ceux-là devront monter en compétence. Mais les enjeux d’auditabilité des comptes engageront également à faire évoluer les pratiques des actuaires, pas toujours habitués à gérer ces aspects. Par ailleurs, et de manière générale, la production des comptes sous IFRS 17 sera plus compliquée que sous IFRS 4 : les calculs de provisions techniques sont plus complexes à produire et devront être réalisés en parallèle des travaux de Solvabilité II, alors même qu’ils sollicitent les mêmes outils et équipes. Dans ce contexte, une amélioration de l’efficacité opérationnelle sera souvent requise à travers la robotisation et l’industrialisation des processus – en particulier pour les assureurs vie, qui seront notablement plus impactés que les acteurs non vie. En complément, une évolution de l’organisation de ces travaux sera potentiellement nécessaire. Enfin, en termes de calendrier, les délais de production des comptes IFRS sont souvent plus contraints que pour Solvabilité II. Ainsi, de nouvelles méthodes vont émerger laissant plus de place encore à l’anticipation des calculs pour être en mesure de produire les comptes dans les temps impartis.

VD : Les difficultés concerneront aussi les questions de granularité et de volumes. Il faudra traiter plus de données et mettre en œuvre plus de calculs que pour Solvabilité II, cela génère une pression importante sur les processus calculatoires.

L’échéance de 2021 pour la mise en application vous paraît-elle réaliste ?

VD : Cette échéance est d’autant plus critique que les premières productions devront arriver plus tôt. Pour certains acteurs, les plans triennaux devront prendre en compte le nouveau référentiel. Cela requiert des premières productions dès 2018/2019 au titre de l’exercice 2021.

EC : En premier lieu, il conviendra de disposer d’une année comparative lors de la présentation des comptes en 2021. Cela pousse les assureurs à être prêts à produire des comptes sous IFRS 17 dès 2020. Cela signifie, d’ailleurs, qu’en 2020, il faudra produire des comptes à la fois sous IFRS 4 et sous IFRS 17. Ajoutons les contraintes issues de la réalisation des plans stratégiques rappelées par Vincent, et l’on comprend aisément que le temps imparti à l’implémentation de cette norme, pourtant complexe et structurante, est très réduit.

Où en sont les acteurs du marché ?

VD : La plupart des acteurs ont commencé un projet et ont produit un plan d’action découpé en chantiers à mener sur les deux ou trois prochaines années. Cela leur permet d’avoir une vision des budgets et des ressources à mobiliser en interne comme en externe.

EC : En effet, ils ont pour la plupart commencé leur projet, mais plutôt au niveau groupe. En cette fin d’année et début 2018, un déploiement au niveau des entités est attendu.

Certains estiment que les coûts pour les assureurs pourraient être comparables à ceux de Solvabilité II, qu’en pensez-vous ?

VD : EY a mené une enquête auprès d’un grand nombre d’acteurs européens sur leur niveau de préparation et leur budgétisation de la nouvelle norme. Il en ressort une estimation des coûts de plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’euros selon la taille, la complexité et la capacité à capitaliser sur l’existant. Pour l’assurance de personnes, les budgets envisagés sont comparables à ceux engagés pour Solvabilité II. En dommage, les coûts estimés sont moindres.

EC : Certains acteurs avaient déjà beaucoup investi dans l’amélioration de l’efficacité opérationnelle des processus Solvabilité II. Ces derniers pourront évidemment capitaliser dessus. Les assureurs ayant mis en place un modèle interne sous Solvabilité II auront également un coup d’avance. Enfin, les ambitions sont différentes selon les acteurs concernant la mise en œuvre d’IFRS 17. Ce sont probablement aussi ces différences qui expliquent les réponses variées obtenues dans le cadre du sondage évoqué par Vincent qui traitait également de la comparabilité des coûts d’implémentation entre Solvabilité II et IFRS 17. Il en ressort finalement que les gros acteurs ne s’attendent pas forcément à un coût supérieur alors que des assureurs de taille plus réduite l’anticipent bel et bien.

Quelles sont les implications en matière de communication financière ?

VD : A ce stade, les compagnies ne maîtrisent pas encore les conséquences d’IFRS 17 couplé à IFRS 9 sur les résultats.

EC : Avec les IFRS 17, on disposera d’une nouvelle présentation du compte de résultats, d’un bilan intégrant des provisions techniques de type « fair value » et des évolutions dans les annexes aux états financiers. La notion de chiffre d’affaires va également changer et l’on disposera d’une provision, la CSM (marge de service contractuelle), présentant les profits à reconnaître dans le futur par les contrats en portefeuille mais dont le sens diffère des indicateurs produits dans le cadre de la MCEV (Market Consistent Embedded Value) ou de Solvabilité II. Les contrats que l’on anticipe être en perte devront également être distingués. Ces changements vont devoir être appréhendés par les assureurs mais aussi par les différents lecteurs intéressés par les états financiers.

VD : Ce que l’on maîtrise mal, c’est la volatilité des résultats qui seront produits, et les facteurs de cette volatilité. On peut craindre des mismatchs comptables : la coexistence d’IFRS 17 et IFRS 9 pourrait introduire une volatilité artificielle. Des choix s’opéreront par les groupes ou par le marché sur les options méthodologiques. Ces choix auront une incidence forte sur la manière dont seront présentés les résultats. Il y aura une phase d’harmonisation des pratiques, il faudra du temps avant d’avoir quelque chose de robuste.

Selon vous, IFRS 17 serait-il en mesure de répondre à ses objectifs ? Y voyez-vous des lacunes, ou des questions qui restent en suspens ?

VD : Il est difficile de savoir comment se comporteront les résultats dans ce référentiel. Sur la comparabilité, il est prématuré de porter un jugement. Les choix en matière de transition peuvent induire un biais lors des premières années d’application.

EC : Les provisions techniques et la reconnaissance du résultat bénéficieront d’un cadre de valorisation partagé et uniformisé. Pour autant, la complexité de la norme, les différentes interprétations normatives possibles ainsi que les divergences déjà apparentes sous Solvabilité II dans les méthodes d’estimation des flux de trésorerie futurs (BE) sont autant de points d’alerte. Les commissaires aux comptes et les groupes de travail auront un rôle important à jouer pour assurer une cohérence globale des résultats produits.

VD : Il y a un enjeu important dans la communication financière. Les modèles comptables sont plus complexes, il est donc probable que l’on ne réponde pas totalement à l’objectif de meilleure compréhension. Les mécanismes de la CSM, en démutualisant les engagements, peuvent brouiller la lecture de la profitabilité des activités. Cette complexité créera une barrière à l’entrée importante pour la compréhension des nouveaux états financiers.

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