Interview de la semaine

« Face aux bancassureurs, ce n’est pas la technologie qui fera des ventes »

Publié le 12 mars 2020 à 8h00

Elisabeth Torres

Cyrille Chartier-Kastler, fondateur et dirigeant du cabinet de conseil en stratégie et management Facts & Figures

Elisabeth Torres
Journaliste

Le dirigeant de Facts & Figures revient sur la 9e édition de son baromètre de l'assurance-dommages rendu public en début d’année.

Dans votre étude, vous évoquez le « syndrome de la grenouille » qui semble frapper les assureurs dommages face à la concurrence des bancassureurs. Qu’entendez-vous par là ?

Je suis adepte des images pour rendre compte de situations parfois complexes. En l’occurrence, imaginez qu’on tente de jeter une grenouille dans l'eau bouillante, elle aura le réflexe de s’échapper. En revanche, si vous la plongez dans une eau froide dont la température monte peu à peu, le batracien y restera. Mais lorsque l’eau sera devenue trop chaude, il sera déjà trop tard pour que l’animal réagisse. Les assureurs dommages me semblent être victimes de ce syndrome face à la concurrence des bancassureurs. Ceux-ci poursuivent leur croissance en assurance-dommages depuis 2012, au point qu’ils détiennent aujourd’hui près de 20 % de parts de ce marché. Et s’ils n’ont encore que 4 % des risques pros, ils devraient devenir prochainement plus agressifs sur ce segment aussi, comme l’annonce le Crédit mutuel. Et ça risque de faire mal. Pour autant, les assureurs ne réagissent guère. Ils se contentent pour le moment de réponses essentiellement digitales, à mon sens insuffisantes. Ce n’est pas la technologie qui fera des ventes.

Quelles sont les raisons propres aux assureurs qui expliquent leur moindre agressivité commerciale au regard de leurs rivaux bancaires ?

Dans les mutuelles sans intermédiaire (MSI), la rémunération des chargés de clientèle ne comporte pas de part variable. Cela influe sur leur comportement à l’égard des prospects : il n’est pas rare en effet qu’ils concluent leur rendez-vous par un « Réfléchissez, prenez votre temps ». Autrement dit, ils ne poussent pas à la vente, ce qui peut être perçu positivement, à ceci près que le client est alors tenté de souscrire ailleurs. Dans les réseaux bancaires, cette part de rémunération variable n’existe certes pas systématiquement. Par exemple, au Crédit mutuel, les conseillers ne sont plus commissionnés. Toutefois, les chargés de clientèle bancaire ont toujours des objectifs qualitatifs et quantitatifs à atteindre, et leur dynamique de promotion en tient compte.

Par ailleurs, autre point fort de la concurrence, le même temps commercial investi par un chargé de clientèle bancaire aboutit globalement à trois fois plus de ventes de contrats que par un collaborateur d’une agence générale d’assurance. Cet écart de productivité commerciale tient notamment à une plus grande efficience de l’approche (industrielle) des banques à réseaux. Or, il ne faut pas oublier que le client est pressé…

Quels sont les atouts des assureurs ?

Les mutuelles sans intermédiaire ont un sens aigu de la relation client et jouissent d’une certaine légitimité auprès du public : leurs tarifs sont compétitifs, leur gestion des sinistres est perçue favorablement, il n’y a pas de politique « vache à lait » sur le portefeuille… Ainsi, le lien qu’elles nouent avec leurs clients sociétaires est fort et durable.

Ce qui est moins vrai de leurs rivaux. En effet, les bancassureurs font généralement souscrire leurs produits dans le cadre de campagnes commerciales : le mois de l’assurance automobile, le mois de la multirisque habitation… Avec à la clé un taux de résiliation plus élevé. Sans compter que leurs tarifs sont plus segmentés, en fonction du profil de client. Ils sont ainsi compétitifs pour les très bons risques. Quant au règlement des sinistres, il ne faut pas négliger la qualité des prestations des bancassureurs. De fait, la survenance d’un sinistre ne doit pas faire perdre un client bancaire. La qualité de service est de ce fait privilégiée en IARD, avec un taux de satisfaction après sinistre particulièrement bon, entre 95 et 98 %. Ce sont d’ailleurs les réseaux bancaires qui ont inventé le règlement de sinistres de gré à gré.

On pourrait aussi arguer de la compétence acquise de longue date par les assureurs, mais les bancassureurs n’hésitent pas à débaucher dans le secteur pour doper leur expertise.

Dans ces conditions, quelle peut ou doit être la réaction des assureurs ?

En premier lieu, il faudrait mettre un terme au discours stérile qui consiste à reprocher aux banques de faire de la vente forcée. Mieux vaudrait reconnaître les aspects performants de ces concurrents, en tirer leçon et chercher à être plus innovant.

Une autre erreur stratégique consisterait à vouloir attaquer les bancassureurs sur leur terrain. Il me paraît plus judicieux que les assureurs défendent avant tout leur portefeuille.

Or, c’est tout à fait possible car les agents généraux restent des intermédiaires de proximité, présents tout au long du cycle de vie de l’assuré. Ils peuvent ainsi instaurer une continuité dans la relation client. Ce qui n’est pas le cas des chargés de clientèle bancaire, lesquels tournent beaucoup afin justement d’éviter une trop grande proximité.

Les agents généraux devraient profiter de cette stabilité pour travailler leur portefeuille, par exemple en faisant le point chaque année des besoins de chacun de leurs clients. Il faut être proactif, aller chercher le business ! Chercher à renforcer la relation client à coup de newsletters est inutile. Etablir un contact personnalisé sera plus payant. Le digital doit faciliter le retour de l’humain !

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