Eldorado des années 90, l’Asie, Chine et Japon en tête, reste la terre promise des assureurs occidentaux. Pourtant, sur un marché difficile à pénétrer, les compagnies étrangères triment et doivent se plier tant aux contraintes locales qu’au jeu des partenariats.
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La poule aux œufs d’or. C'est ce que représente l’Asie depuis plusieurs décennies pour des opérateurs occidentaux en mal de relais de croissance. Dans le viseur des compagnies européennes ou américaines, deux pays suscitent l’appétit, à commencer par le Japon. Voilà trente ans que l’archipel nippon constitue le deuxième marché d’assurance mondial derrière les USA. Le pays enregistre 480 Md$ de primes collectées en 2015. L’autre mastodonte, la Chine, est en passe de prendre sa place au second rang sur le marché de l’assurance mondiale d’ici dix ans. Avec une croissance de près de 10 % par an depuis le début des années 1980, l’empire du milieu est d'ores et déjà la 2e puissance économique mondiale selon le FMI (avec un PIB à plus de 12 000 Md$) et, fin 2015, avec ses 328 Md$ de primes, le secteur chinois de l’assurance occupait le quatrième rang mondial avec 6,9 % de parts de marché, selon le réassureur Swiss Re.
« En Asie, le marché de l’assurance chinois se développe rapidement et devrait devenir plus important que celui du Japon au cours de la prochaine décennie », précise Frédéric Traimond, directeur de l'activité Risk Consulting & Software chez Willis Towers Watson France et Europe du Sud.
Les assureurs occidentaux auraient-ils flairé le bon filon, la martingale ? Si certains grands groupes sont déjà implantés ailleurs en Asie, la fin des années 1990 voit débarquer les ténors du marché. Des géants comme Axa, BNP Paribas Cardif, Allianz, Generali, Aviva ou encore Prudential s’implantent en Chine au travers de produits ou de bureaux sur place. Pourtant, à fin 2005, les compagnies déchantent. Malgré la vingtaine d’opérateurs occidentaux présents dans le pays, ces derniers n’y détiennent à l’époque que 3 % de parts de marché. Aussi attirante soit-elle, l’Asie est loin d’être facile à équiper pour les nouveaux venus. « Les assureurs occidentaux sont en concurrence avec de nombreux acteurs locaux. Il y a beaucoup de compagnies asiatiques avec des volumes mobilisables conséquents. De plus, les assureurs locaux ne subissent pas les mêmes exigences réglementaires et leurs critères d’investissement sont très éloignés des contraintes de Solvabilité II », explique Vincent Rapiau, PartnerM&ATransaction Services for Financial Institutions chez Deloitte.
Au début des années 2000 par exemple, la Chine comptait huit compagnies nationales qui détenaient près de 95 % de parts de marché. Aujourd’hui encore, même si le pays s’est ouvert, l’assurance chinoise reste très concentrée, les trois principales compagnies que sont PICC Life, Ping An et China Life, détenant la moitié du marché vie et deux tiers du marché non vie.
Concurrence interne
Derrière ces deux mastodontes, les autres pays d’Asie ne sont pas en reste. Depuis plus de dix ans, les assureurs peinent pour pénétrer de nouveaux marchés. « En Corée, étant donné les conditions de concurrence, nous essayons de trouver le bon mode de fonctionnement, là où d’autres acteurs sont déjà sortis. Cela reste un marché difficile, mature et soumis à une forte concurrence », lance Vincent Sussfeld, responsable Asie chez BNP Paribas Cardif.
Outre cette compétition exacerbée sur zone, les acteurs étrangers sont aussi freinés par des autorités tatillonnes et des lois souvent favorables aux opérateurs domestiques. « Le rôle des régulateurs est bien entendu de faire évoluer les règles en harmonie avec les évolutions du marché. La vitesse de ces évolutions et les modalités de mise en œuvre peuvent conduire à déstabiliser un marché. En Inde par exemple, la réglementation a beaucoup évolué entre 2010 et 2013, mais nous avions la taille et l’expérience suffisante pour nous adapter à ces changements », précise Vincent Sussfeld.
Et les difficultés ne s’arrêtent pas là. « L’environnement de taux bas pèse sur la rentabilité des actifs et sur la rentabilité technique des acteurs. Cet effet, combiné à la diminution de la collecte de produits en unités de compte au cours des douze derniers mois, rend le secteur moins attractif et l’appétit s’oriente davantage vers l’assurance non vie. La pression est notamment forte sur les marchés qui ont une prédominance de taux garantis, notamment la Corée du Sud ou Taïwan », poursuit Vincent Rapiau. « Certains assureurs étrangers, entrés sur le marché de l’assurance vie au Japon notamment, ont aujourd’hui fermé ou cédé leurs opérations après avoir essuyé des pertes », lance de son côté Frédéric Traimond.
Les exemples ne manquent pas : Ageas ou Axa ont vendu ces dernières années leurs activités vie ou retraite à Hong Kong. Plus récemment, Allianz cédait au chinois Anbang ses activités vie et gestion d’actifs en Corée du Sud. « D’autres acteurs quittent également Taïwan, sans compter les difficultés liées à Solvabilité II (contraintes de capitaux et d’allocation d’actifs) qui poussent certains opérateurs occidentaux à engager des repositionnements stratégiques plus réfléchis », explique ensuite Vincent Rapiau. « Tant que les taux d’intérêts seront bas, les activités vie, prévoyance et retraite peineront
à atteindre un niveau de rentabilité suffisant en Asie. En IARD, tout est question de taille critique et d’accès à des canaux de distribution », poursuit-il.
Préférer la croissance
En dépit de ce tableau en demi-teinte, et si l’enthousiasme exacerbé des débuts a laissé place à la modération, les assureurs restent avides de croissance. Ils continuent de croire en leur avenir asiatique en avançant leurs pions. « Le marché est loin d’être facile mais il y a énormément de potentiel. D’abord, d'ici 2030, le PIB de l’Asie sera supérieur de près de 40 % à celui de l’Europe. 60 % de la classe moyenne mondiale se trouvera sur ce continent. Ensuite, le gap de protection est en train de se combler, en sachant que les Asiatiques épargnent deux à quatre fois plus qu’en Europe et aux USA. Si vous combinez tout cela, oui, les opportunités sont énormes, mais rien n’est gagné d’avance », explique Jean-Louis Laurent Josi, directeur général d’Axa Asie.
Une vision que partage le groupe Aviva, lui aussi présent sur la zone de longue date. « Avec la combinaison d'un faible taux de pénétration de l’assurance et d'une croissance rapide des revenus de la classe moyenne sur un certain nombre de marchés, l’Asie représente un terrain fertile pour les assureurs et constitue l’un des moteurs de croissance de notre compagnie », explique Chris Wei, président exécutif d'Aviva Asie.
Tous présents
Axa, présent dans dix pays asiatiques, dispose d’une force de frappe impressionnante. « Fin 2015, l’Asie (hors Japon et Corée) a généré plus de 550 M€ de résultat opérationnel, soit son plus haut niveau historique, ce qui représente près de 10 % des bénéfices du groupe. Si vous ajoutez le Japon et la Corée, nous sommes proches du milliard d’euros et des 20 % des bénéfices du groupe », explique Jean-Louis Laurent Josi. De son côté, BNP Paribas Cardif enregistre pour 2015 un chiffre d’affaires à 4,8 Md€ (dont 4 Md€ en épargne) pour ses activités en Asie, en hausse de 10 % par rapport à l’exercice précédent. L’implantation du bancassureur sur la région a démarré à Taïwan avec la création d’une branche de BNP Paribas Cardif en 1997, avant la conquête de nouveaux territoires. Un partenariat avec Taiwan Cooperative Bank (TCOB) plus tard et le bancassureur compte aujourd’hui parmi les principaux opérateurs en matière d’unités de comptes et d’assurance emprunteur du pays.
« En Chine, nous avons racheté fin 2014 les parts détenues par ING dans sa joint-venture assurance avec la Banque de Pékin. Notre développement par étapes successives nous a permis de saisir de réelles opportunités de croissance dans les principaux marchés d’assurance d’Asie. Nous sommes désormais présents dans six pays dont la Chine, le Japon et l’Inde, poursuit Vincent Sussfeld. Notre objectif est de faire fructifier nos positions et de capter la croissance à venir. Nous avons toute la gamme pour le faire mais il faut voir à long terme. »
D’autres acteurs comme l’allemand Ergo (déjà propriétaire de l’assureur SHC à Singapour) ont aussi engagé il y a peu d’ambitieuses stratégies de croissance par acquisition dans la région. La filiale de Munich Re étudie le rachat d’enseignes en Thaïlande, en Malaisie, en Indonésie ou aux Philippines.
L’assureur britannique Prudential, présent lui aussi dans la région, s’est fixé des objectifs ambitieux pour les deux années à venir. Le géant de l’assurance vie et de la gestion d’actifs souhaite y collecter 900 M£ à 1,1 Md£ d’ici à 2017. « L’intérêt pour l’Asie se voit également chez d’autres acteurs du secteur de l’assurance, comme les courtiers par exemple. Henner ou April ont récemment développé des activités santé à Hong Kong ou Singapour, tout comme les réassureurs Swiss Re, Scor ou XL Catlin, profitant tant du sous-équipement important que du potentiel de croissance dans ces zones », lance Vincent Rapiau. Ainsi, en avril dernier, c’est Siaci Saint Honoré, via sa filiale MSH International, qui mettait la main sur le cabinet Expat Insurance basé à Singapour et spécialisé en assurance santé et protection sociale. Même le géant mutualiste tricolore MGEN vient d’obtenir une licence pour exercer en Chine.
JV ou JV pas ?
Mais qu’on ne s’y trompe pas, pour obtenir un bon maillage, les assureurs occidentaux n’ont d’autre choix que de se plier à la coutume locale : la joint-venture (JV). « Nous opérons à travers des partenariats en Chine, en Indonésie, à Taïwan et au Vietnam, mais nous sommes aussi propriétaires d'entreprises à Singapour et à Hong Kong. Nous examinons chaque marché au cas par cas. Nos partenaires nous ont donné accès à des réseaux de distribution et de marketing locaux que nous aurions mis des années à construire en propre », explique Chris Wei chez Aviva. « À Singapour, où nous avons commencé nos activités en 1969, et à Hong Kong, où nous avons commencé en 1986, nous sommes aujourd’hui à 100 %, mais il nous a fallu beaucoup de temps pour arriver à faire notre place », ajoute Jean-Louis Laurent Josi.
Ainsi, pour ceux qui veulent tenter leur chance, partenariats ou entrées au capital, généralement minoritaires, constituent une loi d'airain. « Les JV sont comme des mariages : une fois que vous êtes marié, il y a des choses que vous ne pouvez plus faire, mais il y a aussi des choses que vous pouvez faire à deux. S’il faut rendre des comptes à son partenaire, vous mettez aussi en commun les forces de chacun », ironise ce dernier.