Les bancassureurs ont beau être des acteurs historiques sur le marché de l'assurance vie, ils n'en pâtissent pas moins du contexte économique et réglementaire. « Le contexte de taux bas et l'évolution des marchés financiers sont nos principaux points de vigilance sur un secteur toujours plus réglementé », affirme Renaud Dumora, directeur général de BNP Paribas Cardif. En 2017, selon l'ACPR, le rendement moyen des fonds euros s'élevait à 1,83 %, contre environ 7 % dans les années 1990 et 4 % dans les années 2000. Les bancassureurs ont servi les taux les plus faibles, à 1,67 % en moyenne en 2017. « Au-delà des interrogations que peuvent avoir les épargnants sur les évolutions économiques et financières, l’assurance vie reste un placement indispensable dans la constitution d'un patrimoine, offrant des rendements supérieurs à d'autres produits d'épargne sans risques et facilement transmissibles », affirme Frédéric Thomas, directeur général de Crédit agricole assurances. Le taux du livret A et du LDD atteint en effet 0,75 %. « Les taux bas ont généré une certaine déception des clients sur les fonds euros, mais les Français demeurent des épargnants allergiques au risque. Si l’on veut une épargne qui ait du sens et du rendement, il n’y a qu’une solution : allonger la durée de détention », atteste Catherine Charrier-Leflaive, directrice de la banque de détail et de l’assurance à La Banque postale.
Outre l'environnement de taux bas, la réglementation contrarie aussi les plans de développement des bancassureurs. L'évolution de la norme IFRS 4 vers la norme IFRS 17, récemment reportée au 1er janvier 2022, fait grincer des dents. Elle vise à créer un standard comptable unique pour les assureurs qui va les obliger à gérer différemment leur reporting financier, et pourrait avoir un impact sur leur politique de gestion des fonds.
Pari sur les UC
En dépit de ce contexte, les bancassureurs affichent encore des performances solides sur ce segment de marché. Le chiffre d'affaires épargne de BNP Paribas Cardif en France a ainsi crû de 10 % en 2017, à 11,3 Md€. Au premier semestre 2018, celui de Crédit agricole assurances augmentait de 5,4 % sur un an, à 12,8 Md€.
Quant à Société générale Insurance, ses encours capitalisaient 117 Md€ fin septembre 2018, en progression de 3 % sur un an. Leaders du marché, les bancassureurs affichent toujours de fortes ambitions. Natixis assurances attend une croissance de 12 % par an de ses encours pour parvenir à 90 Md€ en 2020, conformément à son plan stratégique. à ce jour, le taux d’équipement en vie des clients des Banques populaires est supérieur à 30 %, tandis que La Banque postale a équipé plus d'un tiers de ses clients bancaires et Société générale Insurance environ 25 % des siens.
Et les bancassureurs accentuent leurs efforts commerciaux pour convaincre davantage de clients de diversifier leurs investissements vers des supports en unités de compte (UC). « L’environnement de taux bas fait évoluer l’offre d’assurance vie. Le fonds euros a surfé pendant trente ans sur la baisse des taux et sur sa compétitivité par rapport aux autres produits d’épargne. Aujourd’hui, il ne peut plus répondre à tous les besoins d’épargne et il faut davantage parier sur les UC », juge Jean-François Lequoy, directeur général de Natixis assurances.
Crédit agricole assurances affiche un taux d'UC de 31 % de la collecte brute, Société générale de 28 % et BNP Paribas Cardif de 30 % sur le seul marché français. Pour Natixis assurances, les UC représentent 25 % des encours, son ambition étant d’atteindre 35 % en 2020. Société générale Insurance se fixe aussi l’horizon 2020 pour parvenir à un tiers des encours en UC.
Supports et clientèle diversifiés
Afin d'augmenter la part d'UC dans la collecte, les bancassureurs ont activé de nombreux leviers : sensibilisation des conseillers bancaires, baisse de certains frais de gestion, offre de gestion élargie et plus personnalisée, outils de conseil et de profilage clients plus performants, etc. Ils tentent également d'attirer les épargnants vers des supports plus « responsables ». « Nous avons beaucoup travaillé notre offre en UC pour lui donner du sens, comme l’UC BNP Paribas Aqua, qui investit dans les actions de sociétés qui développent l’accessibilité à l’eau potable, ou nos UC en private equity, qui contribuent au développement à long terme des entreprises non cotées et soutiennent ainsi l’économie réelle », détaille Renaud Dumora. Même stratégie du côté de La Banque postale : « Nous disposons aujourd’hui d’une gamme à la pointe du marché, avec l’ensemble des supports, y compris une gamme ISR lancée récemment [250 M€ collectés en six mois, NDLR] », souligne Catherine Charrier-Leflaive. Crédit agricole assurances commercialise aussi depuis octobre un contrat d'assurance vie « solidaire » labellisé Finansol.
L'assurance vie haut de gamme constitue un autre vecteur de croissance. « Au sein du réseau Société générale, nous allons élargir en 2019 la base de clientèle à partir de laquelle nous pouvons travailler en conseil patrimonial », confie Philippe Perret, directeur général de Société générale Insurance. Les encours de sa filiale Oradéa vie ont déjà doublé ces cinq dernières années, et son taux de croissance annuelle est supérieur à 10 %. Grâce à de nombreux partenaires, comme Primonial, l'Unep ou Crystal finance, sa part d'UC dans les encours atteint 49 % fin 2017.
« Sur l’assurance vie haut de gamme, Crédit agricole a des positions fortes, en particulier grâce à notre succursale luxembourgeoise dédiée et à la banque privée Indosuez Wealth Management. Le potentiel de croissance reste élevé », ajoute Frédéric Thomas.
Marché historique
Ce potentiel est également important en assurance emprunteur, bien que l'environnement réglementaire ne soit pas favorable aux bancassureurs. Depuis le 1er janvier 2018, date d'entrée en vigueur de l'amendement Bourquin (loi Sapin 2), les souscripteurs d’une assurance emprunteur ont la possibilité d'en changer grâce à la résiliation annuelle. Mais le modèle d'affaires des bancassureurs et leurs capacités à développer des ventes croisées avec les filiales de crédit à la consommation de leur groupe sont substantielles. « Tout l’écosystème est désormais organisé pour que le client soit le plus mobile possible, ce qui a occasionné une concurrence entre bancassureurs et assureurs traditionnels. Nous avons beaucoup entendu que le grand soir allait arriver : pour le moment, ça n’a pas été le cas », remarque Catherine Charrier-Leflaive.
Même constat du côté de Crédit agricole assurances : « Cette activité est aujourd'hui peu impactée par l'ouverture renforcée à la concurrence. Les résiliations concernent 2 % des contrats et notre capacité de personnalisation croissante de nos offres et nos solutions tarifaires limitent le taux réel de résiliation », communique Frédéric Thomas.
Natixis assurances, qui annonce pourtant 3 % de croissance fin septembre, reste plus prudent : « C’est une activité sur laquelle nous sommes plus matures et que nous réalisons en partenariat avec CNP assurances. L’activité liée au crédit immobilier a été un peu plus faible cette année et l’environnement concurrentiel s’est renforcé, suite aux lois Lagarde, Hamon et Sapin 2. La concurrence s’est encore intensifiée en 2018, générant une augmentation des demandes de résiliation », remarque Jean-François Lequoy. Pour BNP Paribas Cardif, cette activité représente 14 % de son chiffre d’affaires à fin 2017. « Notre force consiste à proposer une offre qui repose notamment sur un contrat collectif, fondé sur le principe de la mutualisation des risques et conçu pour répondre au plus grand nombre, et un contrat alternatif pour une offre sur-mesure. Il s’agit de deux approches complémentaires de l’assurance emprunteur qui nous permettent de couvrir les besoins de tous les emprunteurs », présente Renaud Dumora. Les opérateurs traditionnels auront donc encore fort à faire pour parvenir à déloger les bancassureurs de leurs marchés historiques...