Laurent Belhout, directeur général d’Aon France
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Rencontre avec Laurent Belhout. Le directeur général dresse le bilan de l'exercice passé pour la filiale française du géant mondial du courtage et affiche ses ambitions pour l'avenir. Il passe en revue l'actualité de l'assurance et du risk management des grands risques.
Quel est le bilan d'Aon France pour 2018 ?
2018 a été un excellent exercice avec une croissance qui se renforce à 10 % après 9 % en 2017 et 7 % en 2016. C'est une année faste pour Aon France qui s'inscrit dans une tendance durable. Aon France réunit sous le même chapeau l'IARD et les assurances de personnes. L'ensemble progresse de 10 % en y incluant l'affinitaire pour un chiffre d'affaires d'environ 333 M€ répartis pour la moitié en IARD et affinitaire, un quart en ADP et un quart en réassurance. Là où Aon France se distingue encore davantage en 2018, c'est sur la partie entreprises avec une croissance qui s'affiche à 15 %. La filiale française enregistre ainsi la meilleure croissance de toutes celles du groupe, c'est une belle réussite pour les équipes.
Ce One Aon, à la fois ADP et IARD, constitue un avantage considérable tant en termes de relais de croissance que de complétude de nos offres. Etre actif en santé-prévoyance nous donne aussi de la visibilité puisque l'exercice 2019 est quasi bouclé sur cette branche et la croissance s'affichera au-delà de 10 %.
Et concernant la croissance externe ?
Cela fait des années que Robert Leblanc affiche sa volonté de faire de la croissance externe. Une ambition qui s'est heurtée au manque d'opportunités jusqu'en 2018, où s'est présenté le dossier Chapka. Aon France s'en est saisi ; il s'agit d'un des principaux acteurs dans sa spécialité de l'assurance voyage, avec un chiffre d'affaires de près de 7 M€. L'impact financier sera dans le bilan 2019. Cette acquisition s'inscrit dans une stratégie globale du groupe Aon qui veut investir davantage en France. Robert et moi-même avons travaillé à matérialiser des opportunités : Chapka est la première à s'être concrétisée, ce n'est certainement pas la dernière.
Nous faisons tout pour que 2019 soit l'année de la croissance externe pour Aon France avec l'ambition de supporter notre croissance organique par des acquisitions. Il est certain que la DDA est un vrai sujet pour les petits courtiers qui doivent s'outiller et recruter pour y répondre. C'est un des facteurs de maturation et de concentration du marché. Pour nous, c'est une opportunité supplémentaire. C'est aussi un élément de développement des courtiers grossistes qui ont les moyens de se structurer.
Il semble que le groupe ait des velléités d'achats et pas seulement en France ?
Aujourd'hui, le groupe est très volontariste tant en France qu'à l'international. Je ne m'exprimerai pas sur l'opération potentielle évoquée par la presse ces dernières semaines mais je voudrais simplement rappeler que les plus gros dossiers de rachat sont des opportunités dans le cadre d'une stratégie globale de prise de parts de marché. Et là, ce sont les instances dirigeantes du groupe à Chicago qui décident dans le cadre de processus très formatés de mise sur le marché, avec tender, consultants et tutti quanti.
La valeur ajoutée d'un Laurent Belhout est alors plus réduite. En revanche, notre valeur ajoutée locale est forte et nous sommes à même de créer des opportunités en fonction cette fois d'une stratégie de niche. Une approche qui consiste à acquérir les meilleurs opérateurs dans les spécialités visées. Ça peut être la construction, l'affinitaire... Des spécialités sur lesquelles nous acquerrons du savoir-faire et où les courtiers cédants pourront tirer profit d'un rapprochement avec Aon pour élargir leur panel et multi-équiper leur clientèle notamment.
Vous évoquez la construction, c'est une niche qu'Aon France maîtrise pourtant déjà ?
Dans la construction, il y a beaucoup de spécialités différentes. Nous sommes aujourd'hui leader en ingénierie et en promotion et nous ambitionnons d'avoir le même positionnement auprès des constructeurs et maîtres d'ouvrage.
Quelle est votre vision des affres des opérateurs LPS en construction ?
Franchement, le marché a vu arriver les difficultés. Cela fait au moins sept ou huit ans qu'on en parlait. Les intermédiaires qui ne savent pas faire leur métier sont allés souscrire chez ces porteurs de risque. Il y a les courtiers mais il y a aussi les assurés maîtres d'ouvrage qui sont allés au moins cher. Quand on arbitre systématiquement pour le moins-disant, il ne peut pas y avoir de miracle. Il n'en reste pas moins que pour le marché de l'assurance, c'est une mauvaise nouvelle à relativiser puisque tous les risques doivent être re-souscrits.
Quels effets du Brexit subissez-vous ?
Aucun. D'abord parce qu'Aon France est filiale du groupe, ensuite parce que nous continuons comme avant à nous adresser au marché des Lloyd's à Londres. Après, les circuits officiels et administratifs évoluent et doivent s'adapter mais c'est un autre sujet. Qu'il y ait une entité juridique établie dans un pays de l'Union européenne, cela me paraît indispensable pour le bon fonctionnement du marché d'assurance européen.
Les Lloyd's sont le réceptacle d'un très gros volume d'affaires extra-européennes. Les premiers marchés du Lloyd's sont ceux des Etats-Unis et de l'Asie avant celui d'Europe continentale. La valeur ajoutée et la matière grise propres au marché londonien ne vont pas se tarir du jour au lendemain pour cause de Brexit. Et en ce qui concerne nos clients, nous avons répondu à leurs interrogations.
Sur votre cœur de métier du risque d'entreprise, comment s'est soldée la campagne des renouvellements ?
Notre taux de rétention est à 97 % au 1er janvier, ce qui est exceptionnel. Une bonne dynamique qui se retrouve tant en matière d'affaires nouvelles que pour celles déjà en portefeuille. Le marché, qui s'est durci l'an dernier, nous permet de mieux nous exprimer et tirer notre épingle du jeu concurrentiel. Dans un contexte moins favorable aux acheteurs, seuls les meilleurs courtiers sont encore susceptibles de faire bouger les lignes.
Quel constat faites-vous de l'appétit aux risques d'entreprise des assureurs ?
Si on dresse la liste des sociétés d'assurance capables d'accompagner sur toutes les branches un grand client à dimension internationale, elles se comptent sur les doigts d'une main.
Si on fait l'état des lieux, certains petits acteurs ne souscrivent quasi plus en France, et de gros joueurs ont sérieusement réduit la voilure en dommages. D'autres sont en proie à des résultats techniques dégradés ou très sérieusement focalisés sur leur organisation interne… Résultat des courses : c'est à nous de trouver les alternatives.
Les capacités sont là mais il manque l'appétit pour des raisons techniques et pour cause de catastrophes naturelles à répétition. Le middle market n'est pas concerné et les assureurs continuent d'avoir de l'appétence pour les risques des PME. Ce constat est valable dès lors qu'il y a une dimension internationale au risque à garantir.
Cela complique votre métier ?
C'est un mal pour un bien puisqu'il appartient au courtier de faire bouger les lignes actuellement et ce n'est pas donné à tout le monde. Aon a les talents et un impact sur le marché pour prétendre faire bouger les lignes. Nous figurons parmi les principaux fournisseurs d'affaires nouvelles sur le marché. Celui qui permet la fluidité des affaires est supporté par le marché, c'est le cas d'Aon aujourd'hui.
Le contexte est motivant. Le marché s'est durci mais des choses nouvelles sont en train de se créer. Des opérateurs de renom s'intéressent au marché français et pourraient décider de l'investir dans les prochains mois. En attendant, je recommande à nos clients de préserver les acquis du marché soft des dernières années.
Justement, notez-vous des évolutions dans l'achat et les besoins d'assurance des risk managers ?
Je ne note pas d'évolution structurelle. Les clients et prospects sont toujours très attentifs au service délivré. Il y a des appels d'offres servicing courtier dans lesquels les conditions d'assurance ne sont pas remises en cause, mais ce n'est pas nouveau. Le niveau d'exigence va crescendo mais c'est valable pour tous les secteurs.
Pour notre part, nous sommes sélectifs dans les réponses que nous formulons aux appels d'offres. Notre énergie est d'abord et avant tout consacrée à nos clients en portefeuille. Un appel d'offres demande de mobiliser beaucoup de matière grise, je préfère qu'elle le soit auprès des clients qui nous paient. Cette politique nous permet d'avoir un taux de rétention de 97 %. C'est la reconnaissance par les clients du service délivré par les équipes.
Quelles sont vos perspectives pour 2019 ?
Pour l'année, nous ambitionnons une croissance organique de 8 %. Il y a des lignes que nous poussons assez fortement : le risque politique, le crédit et leM&A La construction et l'automobile sont tout aussi prioritaires pour Aon France. Et je pense que nous allons devoir nous mobiliser en dommages pour résoudre les difficultés rencontrées par certaines entreprises lors des renouvellements et pour trouver des alternatives au cycle de marché actuel. Les capacités restent suffisantes mais il est évident qu'elles vont continuer à se renchérir à mesure qu'elles seront de plus en plus utilisées.
Le marché a déjà changé pour les grands risques. Il y a un sujet exposition Cat Nat à traiter et il ne pourra pas l'être en dehors de fortes compétences d'intermédiation. L'amateurisme n'a plus sa place chez les courtiers et cette situation perdurera tant qu'il n'y aura pas un regain d'appétit des grands assureurs pour le dommage.