Une certaine résistance à la fusion

Publié le 3 novembre 2011 à 6h00    Mis à jour le 22 octobre 2015 à 12h43

Séverine Charon

Au moment où Humanis et Novalis Taitbout se rapprochent et se hissent au premier rang en retraite complémentaire, et où Mornay et D&O convolent enfin, la tendance semble toujours être à la recherche de la taille critique. Mais certains groupes tiennent à leur indépendance et à leurs spécificités.

Le mouvement s'accélère : en juin dernier, les fédérations Agirc Arrco ont reçu le dossier relatif au projet de rapprochement entre Humanis - un groupe né en janvier de la fusion entre Vauban Humanis et Aprionis - et de Novalis Taitbout. La naissance officielle d'un nouveau groupe de protection sociale (GPS) est donc annoncée et programmée courant janvier 2012, avant même que l'un des deux partenaires ait lui même entamé sa propre fusion. Il faut dire que l'objectif est alléchant : sur la base des chiffres à fin 2010, ce nouveau géant se hissera au 1er rang des acteurs en retraite complémentaire (11,5 Md€ de cotisations encaissées), et au 3e rang du secteur paritaire pour ce qui concerne les activités concurrentielles avec 2,8 Md€ de collecte, derrière AG2R La Mondiale et Malakoff Médéric. Il sera aussi, grâce à Interexpansion, le seul paritaire à pouvoir tutoyer les filiales bancaires dans l'épargne salariale, avec 2,5 Md€ d'encours. Un atout non négligeable, alors que les partenaires sociaux en finissent avec la diabolisation de ces dispositifs d'épargne retraite facultatifs. Si les décisions politiques sont prises rapidement, leur déclinaison opérationnelle prendra davantage de temps : Humanis fait une pause dans son propre processus de fusion.

Toutefois, afin de ne pas prendre de retard dans la très porteuse course aux contrats de branche, Novalis Taitbout et Vauban Humanis n'attendent pas d'avoir concrétisé leur union. Les deux groupes fourbissent en effet leurs armes et ont même rassemblé au-delà du périmètre du futur groupe : leurs institutions de prévoyance se sont alliées à celle d'Apicil, mais aussi à la Ciprev et au Groupement national de prévoyance (GNP) dans un groupement paritaire de prévoyance (GPP), dont la gouvernance et le fonctionnement doivent être définis d'ici la fin de l'année. Les membres du nouveau groupement visent la mise en commun des moyens pour développer les activités conventionnelles, auxquelles ils croient dur comme fer. Avec un chiffre d'affaires de 285 M€ en 2010 et 61 désignations ou recommandations, cet ensemble constituera le 2e acteur de ce marché, derrière AG2R La Mondiale.

Des économies d'échelle à l'heure du papy-boom

C'est au départ sous l'impulsion des fédérations chapeautant les activités de retraite complémentaire obligatoire que les GPS se sont lancés dans une stratégie de course à la taille. En 2001, avec le papy-boom et les départs massifs à la retraite, l'Agirc et l'Arrco les ont en effet enjoints d'engager un processus de consolidation, afin de diminuer de manière drastique le nombre de caisses de retraite, et de réaliser des économies d'échelle. En parallèle, un processus d'unification de l'informatique était lancé à l'aide du grand projet "usine retraite" (lire p. 74).

Dès 2003-2004, l'appel de l'Agirc-Arrco est entendu : parmi les grandes étapes, on peut citer les rapprochements de Dumas et d'Orepa (D&O), d'AG2R et d'Isica, d'AG2R et de Prémalliance, de Vauban et d'Humanis, de Malakoff et de Médéric. Mais certains groupes ont enchaîné des fusions à un rythme plus soutenu, et il serait par exemple fastidieux d'énumérer toutes les étapes par lesquelles est passé Novalis (ex-MV4 Parunion) avant de fusionner avec Taitbout.

Désormais, la consolidation du secteur est bien avancée, et une poignée de groupes pèse plus de 5 Md€ voire plus de 10 Md€ de cotisations, retraite obligatoire et prévoyance collective confondues.

« Grandir aujourd'hui pour mieux vous protéger demain », revendique le jeune groupe Humanis. Priorité à la taille, recherche d'économies d'échelle, cap sur la rentabilité : ce sont les maîtres mots de nombre de groupes paritaires. C'était aussi le leitmotiv de Guillaume Sarkozy, délégué général de Malakoff Médéric, lors de la présentation des résultats 2010 du groupe, en juin dernier. « La fusion porte ses fruits », soulignait-il, évoquant gains de productivité et compétitivité du marché. Guillaume Sarkozy, qui rappelle souvent qu'il vient de l'industrie (le textile), estime que les rapprochements entre GPS sont nécessaires, et doivent répondre à une logique industrielle. Malakoff Médéric, déjà acteur de premier rang, serait encore ouvert aux rapprochements et aux partenariats, afin par exemple d'atteindre la taille critique en complémentaire santé, soit 8 à 10 millions de personnes couvertes.

Au-delà des logiques industrielles, les groupes visent aussi à assurer leur pérennité en renforçant leur solidité financière, avec Solvabilité II en ligne de mire. Les risques lourds comme l'incapacité et l'invalidité vont demander davantage de fonds propres. Croître en taille, se regrouper, se diversifier, c'est primordial pour des acteurs qui ne peuvent faire appel au marché.

Des outils obsolètes

Depuis l'appel lancé par l'Agirc et l'Arrco, certains sont toutefois restés à l'écart du mouvement. Si le lyonnais Apicil a un temps envisagé de se rapprocher du nordiste Vauban Humanis, il a abandonné l'idée, et semble bien tenir à son indépendance. L'arrivée en début d'année d'un quadra, Philippe Barret (venu de Réunica), au poste de directeur général, est un indice de plus qui fait bien penser que le groupe n'envisage pas de fusionner. Des discussions ont néanmoins été initiées avecD&Oet Mornay (eux-mêmes engagés depuis dans un processus de fusion, qui a connu des ratés avant d'être confirmé début octobre, lire p. 19), mais le sujet porte seulement sur l'outil informatique dédié à l'activité assurance de personnes : l'usine retraite et ses plates-formes ont été très structurantes dans la consolidation du secteur, la question de l'informatique pour les activités concurrentielles l'est aussi. D'autant plus que les outils utilisés sont souvent obsolètes, voire imbriqués avec les systèmes informatiques retraite, qui deviendront caduques une fois l'usine retraite mise en route.

Le groupe Aprionis, qui utilise un progiciel récent en matière d'assurance (Plei@de), a d'ailleurs rapidement converti ses deux autres groupes partenaires (Vauban Humanis et NovalisTaitbout). Pour certains groupes, la question devient désormais urgente à régler.

Conserver son identité de branche

Pour appréhender ce qui guide les rapprochements, la situation de chaque acteur sur le marché de l'assurance concurrentielle est donc importante, et se conjugue aussi au poids des caisses de retraite complémentaire, et à l'existence d'une surveillance par les fédérations Agirc Arrco (lire encadré page précédente). Enfin, le distinguo entre groupes professionnels et interprofessionnels est un autre critère.

Les récentes mésaventures de Réunica et ProBTP, qui ont renoncé à se rapprocher en septembre, illustrent bien ce propos. Fin 2010, suite à des indiscrétions, les deux groupes, déjà poids lourds tous les deux (8,2 Md€ pour Réunica, 6,1 Md€ pour ProBTP), confirment leur volonté de se rapprocher. Ce qui constitue alors une double surprise pour les observateurs : Réunica est déjà engagé dans un partenariat en matière d'informatique retraite avec AG2R, et semble suivre un chemin bien jalonné, puisque si l'informatique n'oblige pas au rapprochement, elle le favorise grandement. De son côté, ProBTP, longtemps plus gros groupe du secteur paritaire, avait jusque-là clamé haut et fort que la croissance par la fusion ne faisait pas partie de ses plans, et que son "identité professionnelle", liée à la branche du BTP, primait sur le reste. En cours de négociations, courant 2011, ProBTP confirme d'ailleurs qu'il n'envisage pas de faire association sommitale commune avec Réunica, y compris sous les injonctions formulées par les fédérations Agirc et Arrco. « Dans le cadre de l'accord du 8 juillet 2009, les fédérations Agirc et Arrco considèrent que rapprochement veut dire fusion politique. Mais les partenaires sociaux du BTP dans leur ensemble nous ont dit qu'il ne fallait pas que ProBTP perde son caractère professionnel », confirme Paul Grasset, directeur général du groupe. « Quand nous allons chercher un partenaire, ce n'est pas pour modifier notre gouvernance, mais pour abaisser nos coûts », ajoute-t-il. Le GPS du bâtiment propose alors un schéma de mise en commun à Réunica, qui n'entre pas dans le champ de l'accord du 8 juillet 2009, et ne concerne que les activités concurrentielles. Mais Réunica est un poids léger pour ces activités. Avec l'institution de prévoyance Arpege, le groupe affiche seulement 446 M€ de cotisations collectées en santé prévoyance en 2010, contre 2,5 Md€ à ProBTP, et ne se satisfait pas d'un nouveau partage des rôles reflétant ce déséquilibre. Le conseil d'administration de Réunica a donc finalement décidé, le 9 septembre, d'abandonner le projet de rapprochement, relançant au passage les spéculations sur l'avenir d'un GPS qui a déjà, en d'autres temps, abandonné un projet avec Novalis Taitbout.

En fait, la tentative de ProBTP et de Réunica fait figure de contre-exemple de ce qui s'est passé ces dernières années : les groupes paritaires encore rattachés à des branches professionnelles veulent garder cette singularité. « Quand je vais voir mon conseil d'administration, la question primordiale que j'ai en tête est : quel est l'intérêt pour le BTP dans cette opération ? », résume Paul Grasset. « La notion de groupe professionnel est importante pour l'Ircem : elle permet notamment la valorisation des emplois de la famille et plus généralement des emplois dans les services à la personne, en raison des travaux et réflexions menées avec les organisations représentatives de ces branches tant du côté des salariés que du côté des employeurs », ajoute Jean-Charles Grollemund, le directeur général de l'Ircem, le petit groupe paritaire qui monte, grâce au dynamisme de l'emploi de son secteur (assistantes maternelles, aide à domicile).

Préserver ses partenaires

Ce qui fait la singularité d'un groupe professionnel, ce sont aussi ses partenaires sociaux. L'Ircem accueille par exemple dans son conseil d'administration une fédération d'employeurs atypique, la Fepem (les parents employeurs), dont les préoccupations ne sont pas forcément solubles dans celle du Medef. Pour cette raison, l'Ircem n'a pas jusqu'ici montré de velléités de rapprochement avec l'un ou l'autre, mais s'est plutôt appliqué à mettre en place des coopérations sur des activités standardisées : de la santé individuelle et de la gestion d'actifs avec Malakoff Médéric et de l'éditique (informatique appliquée aux documents) avec AG2R et Humanis, afin de se focaliser sur ce qui lui est spécifique, la gestion des employeurs multiples par exemple.

En raison de cette spécificité forte, l'Ircem est même le seul groupe à ne pas avoir encore choisi son camp en informatique retraite. « Le choix de la plate-forme devrait être arrêté par mes instances d'ici la fin de cette année », précise Jean-Charles Grollemund. L'Ircem pourrait suivre le mouvement et rejoindre Alcara, comme ses partenaires actuels de plate-forme (Apicil, Aprionis et D&O). Mais la possibilité qu'il les quitte pour rejoindre le camp de ProBTP, comme l'ont déjà fait les groupes professionnels B2V (assurance et enseignement privé) et Audiens (spectacles, audiovisuel, presse) en 2009, ne peut pas être exclue.

Un séduisant guichet unique

Dès 2003, alors que le mouvement de consolidation chez les paritaires prend de l'ampleur, ProBTP ouvre sa propre voie et initie la création de l'Association des moyens informatiques des caisses professionnelles (Amicap) avec trois autres groupes - Agrica (agroalimentaire), IRP auto (métiers de l'automobile) et Lourmel (industrie graphique)-, « afin d'optimiser les coûts de gestion, tout en respectant l'identité professionnelle de chaque institution » . B2V et Audiens, séduits, se sont donc joints aux partenaires de la première heure. La fusion n'est donc pas la seule solution : dans le partenariat proposé par ProBTP (transparent dans les classements), chacun choisit la profondeur du partenariat et l'adapte à ses besoins. ProBTP utilise un outil informatique qui permet de gérer à la fois retraite et prévoyance, et de proposer aux entreprises clientes un appel de cotisation unique entre retraite et santé-prévoyance (le guichet unique). Un argument commercial séduisant qu'aucune fusion ne pourra proposer.

Au fil des années, force est donc de constater que la consolidation du secteur a pris forme de fusion à répétition pour les interprofessionnels, tandis que les groupes professionnels se sont contentés d'une discrète, mais efficace, mise en commun de moyens.

" Quand nous allons chercher un partenaire, ce n'est pas pour modifier notre gouvernance, mais pour abaisser nos coûts. "

Paul Grasset

ProBTP

Collecte 2010 des groupes de protection sociale (en md€)

Le lyonnais Apicil tient à son indépendance, mais s'est tout de même rapproché deD&Oet Mornay autour de l'outil informatique dédié à l'assurance de personnes. L'usine retraite et ses plates-formes ont été très structurantes dans la consolidation du secteur, la question de l'informatique pour les activités concurrentielles l'est aussi.

" La notion de groupe professionnel est importante pour l'Ircem : elle permet notamment la valorisation des emplois de la famille et plus généralement des emplois dans les services à la personne. "

Jean-Charles Grollemund

Ircem

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