Le défi est de taille pour les assureurs ! Gérer leurs actifs en adéquation avec leur passif, tout en générant du rendement dans un contexte de taux bas et faire face à une réglementation plus contraignante. A la Maif, comme chez tous les assureurs on estime que « la gestion obligataire est le sujet primordial. Il faut désormais une gestion plus tactique sans s'exposer à des risques de portage significatifs », estime Eric Berthoux, son directeur délégué.
Les taux bas ont l'avantage de revaloriser les actifs malgré une baisse des rendements alors qu'une remontée des taux permet une augmentation des rendements tout en générant des moins-values latentes pour les assureurs qui devront aller sur d'autres territoires pour revaloriser leurs actifs. Une équation compliquée à résoudre, car les assureurs doivent savoir pendre plus de risques dans un contexte économique et réglementaire contraint. Et le risque, les assureurs ne l'aiment pas ! Vincent Falantin, directeur de la stratégie des investissements d'Allianz France résume bien la situation : « Dans un contexte de taux bas, nous restons prudents dans notre politique d'investissement et sommes attentifs au couple rendement/risque. »
Toutes ces données les incitent à se recentrer sur la France afin de limiter les risques pays, mais aussi, en toile de fond, à faire face à un abandon potentiel de l'euro. Car, pour Ghislaine Bailly, présidente de Covéa finance, « le risque de disparition de l'euro n'a pas totalement disparu, d'où une prudence persistante à l'égard des dettes publiques d'Europe du Sud. Les emprunts obligataires français restent donc une part importante de nos investissements malgré la faiblesse des rendements ». Même son de cloche pour CNP qui a recentré son portefeuille sur la dette souveraine française, après ses déboires grecs.
Les périphériques, une solution temporaire
« Une bonne gestion nous pousserait à acheter des obligations à 7-10 ans afin de corréler l'actif au passif. Malheureusement, aujourd'hui, les obligations à 10 ans ne génèrent que 2,6 à 2,7 % de rendement, alors que si on dégrade la signature, les rendements sont plutôt de 3,5 % », indique de son côté Olivier Désert, directeur général de la Mutuelle de Poitiers assurances. Les pays périphériques de la zone euro, Italie et Espagne en tête, sont donc des bons candidats à la prise de risque limitée pour les assureurs. Ce que confirme Axa : « Nous n'avons pas hésité à privilégier certains Etats périphériques, qui offrent un meilleur rendement. » Ainsi « en entrant au bon moment en Italie ouen Irlande, nous pouvons espérer des rendements de l'ordre de 4-5 % sur des obligations à long terme », souligne Laurent Clamagirand, directeur des investissements du groupe Axa.
Ce basculement des portefeuilles vers les périphériques illustre bien la volonté des assureurs de s'exposer à un risque limité tout en s'adaptant à un nouvel environnement. Les pays périphériques sont donc devenus les satellites du portefeuille core placé dans des pays réputés plus sûrs. « Nous avons un portefeuille majoritairement investi à long terme sur des emprunts obligataires français et allemands, publics ou privés, assurant des revenus réguliers. Parallèlement, nous nous fixons des enveloppes de risques maximales que nous pouvons prendre sur d'autres pays en concertation avec nos mandants et sur des investissements plus court terme », explique Ghislaine Bailly.
Raid sur les obligations d'entreprises
Quoi qu'il en soit, tous les assureurs ont opéré un virage notable vers le crédit corporate. Les entreprises, notamment les plus grosses, étant désormais considérées comme en bonne santé financière. « Elles ont assaini leur bilan, réduit leur dépendance aux banques en recherchant sur le marché d'autres sources de financement de leur dette. Cela procure des papiers intéressants et nous sommes d'ailleurs beaucoup plus investis sur le corporate maintenant qu'auparavant », insiste Mikaël Cohen, directeur des investissements de CNP assurances.
De même, chez MACSF : « Nous sommes désormais investis en dette corporate à hauteur de 75 % du portefeuille obligataire, car il existe aujourd'hui une prime par rapport aux souverains pour un risque presque identique », résume Marcel Kahn, son directeur général. Par ailleurs, « les dettes corporate surperforment les actions de 100 à 200 points de base », estime-t-on chez BlackRock, assurant de surcroît un coupon régulier.
Mais on ne change pas des habitudes aussi facilement. Généralement adeptes du buy and hold (stratégie qui consiste à acheter des obligations à long terme et les porter à échéance), les assureurs qui se positionnent sur cette classe d'actifs cherchent de plus en plus des durations courtes, de l'ordre de 3 à 4 ans, afin de ne pas être bloqués trop longtemps. L'allocation géographique est, elle aussi, importante. Ainsi, Axa considère « qu'une grosse bulle s'est créée sur les corporate européennes. Nous avons donc investi sur les Etats-Unis, qui nous semblent plus solides », estime ainsi Laurent Clamagirand.
High yield, new frontiers, etc.
Autre moteur de performance, beaucoup plus controversé, les high yield, des obligations à haut rendement. Selon BNP Paribas, « le crédit "investment grade" devient cher et les assureurs continuent à investir sur les high yield, proposant une meilleure performance avec un risque de défaut très faible », estime Anne Dille-Weibel, directrice commerciale banque et assurance chez BNP Paribas Investment Partners. Dans la zone euro, la performance de ces produits sur un an était de l'ordre de 4,8 %, surperformance qui selon certains ne vaut pas le coup. Ainsi, pour Olivier Désert, « les obligations d'entreprises génèrent 3 à 3,5 %. Pourquoi aller sur du haut rendement qui présente un réel risque en capital ? ». Malgré cela, les taux de défaut sont relativement faibles ces dernières années et « les obligations à haut rendement peuvent être une réponse en termes de rendement. Mais elles ne mettent pas à l'abri d'un risque pays ou émetteur en difficulté », poursuit-il. Mais comme tous les produits à la mode, le risque de bulle est bien réel. D'ailleurs, chez Allianz, « nous avons pas mal investi l'an dernier. Mais nous nous interrogeons maintenant sur le niveau des spreads et considérons que sur certains émetteurs le risque n'est plus totalement rémunéré », résume Vincent Falantin.
Enfin, les pays émergents ont été pendant des années l'eldorado pour tous les investisseurs, souvent poussés par les sociétés de gestion leur proposant des produits adéquats. Mais leur corrélation au dollar les a sensiblement affaiblis ces derniers mois. Ainsi, « les gestions investies dans les titres émergents ont été victimes des craintes entourant le calendrier de la Réserve fédérale américaine sur le ralentissement de ses rachats d'actifs, estime Anne Dille-Weibel, mais les marchés new frontiers résistent plutôt bien ».
Beaucoup d'assureurs sont ainsi sortis et « la dette émergente reste marginale dans les portefeuilles, marché peu liquide et accessible aux gros assureurs » souligne-t-on au cabinet de conseil Périclès. Chez Covéa finance, c'est un niet franc, alors que chez Axa, « l'allocation actuelle reste assez faible, mais nous pensons la renforcer à long terme, en restant très sélectifs ». D'autres y vont plus sur la pointe des pieds, comme la Maif qui y a investi « moins de 1 % de ses actifs, des fonds plus orientés vers l'Amérique du Sud que l'Asie » précise Eric Berthoux.
Les actions, parent pauvre des assureurs
Tous ces moteurs de performance viennent aussi compenser la faible exposition au risque action des assureurs. Avec un taux moyen d'investissement en actions qui est passé en quelques années de 15 % à 5-6 %, les actions sont victimes de contraintes réglementaires qui pèsent lourd dans les bilans des assureurs. Et « cela peut être frustrant, car nous ne pouvons plus être aussi réactifs sur les actions et ne sommes plus en mesure de bénéficier de toutes les opportunités. La rotation du portefeuille est difficile à gérer », développe Pascal Heurtault, le directeur des investissements d'Aviva Investors France.
La gestion actions est ainsi devenue sécuritaire et moins active qu'elle ne l'était auparavant. Aussi, les grandes valeurs ont les faveurs des investisseurs, qui misent sur des entreprises ayant de bons bilans, mais générant aussi des dividendes et capables d'avoir du cash flow. D'un point de vue géographique, la zone euro reste privilégiée (90 % chez Allianz), mais le Japon et les Etats-Unis commencent à revenir dans les portefeuilles (chez Axa ou Covéa). Généralement menée en stock picking, c'est-à-dire pour la valeur intrinsèque des titres et non en fonction de l'environnement économique, la gestion actions cherche ainsi à dégager des plus-values complétant les revenus liés aux dividendes.
« Nous investissons essentiellement sur des valeurs cœur que nous gardons sur le long terme et nous travaillons les mouvements de marché plus court terme sur des valeurs qui pèsent dans les indices », insiste Ghislaine Bailly. Malgré cela, l'allocation actions reste limitée, les assureurs étant plus que prudents face à la consommation en capital qu'elle demande et à la volatilité importante des marchés ces dernières années.
Enfin, certains ont décidé de miser sur les obligations convertibles, très consommatrices de fonds propres, mais qui bénéficient d'une bonne image. Ainsi, à la MACSF, « 10 % en moyenne du portefeuille est composé de convertibles, mais cette proportion a tendance à baisser parce il y a eu moins d'émissions qu'il y a deux ans et la sélection est encore plus nécessaire pour bien prendre en compte le risque crédit ». Même son de cloche chez Aviva Investors, car « cette classe d'actifs permet de profiter de la hausse des marchés actions avec un parachute obligataire », indique Philippe Taffin, son directeur des investissements. Un bon compromis dans un marché où la visibilité à long terme est réduite à du... très court terme. C'est bien cette échéance qui guide actuellement l'allocation d'actifs de tous les assureurs de la place.