Catherine Poncet et Jean-Louis Delpérié, associés au cabinet Exton Consulting
Journaliste
Dans une récente étude, le cabinet Exton Consulting met en lumière la difficulté pour les opérateurs d’identifier et de servir au mieux leur clientèle aisée. Entre conseils inadaptés, méconnaissance du patrimoine des clients et services inadéquats, il reste des marges de progression pour assureurs et banquiers.
La clientèle aisée est-elle bien connue des acteurs de la banque ou de l’assurance ?
Catherine Poncet : La clientèle aisée* est souvent mal identifiée par les banquiers ou les assureurs. Elle est considérée comme trop riche pour rentrer dans la clientèle « mass market » et bénéficier des services généralistes, et trop pauvre pour les dispositifs banques privées. C’est un profil d’entre deux mais qui représente 10 % des ménages français et 48 % du patrimoine hexagonal. C’est donc un enjeu majeur pour les opérateurs de la place.
Est-il difficile de garder cette population en portefeuille ?
Jean-Louis Delpérié : L’enjeu pour les banquiers et les assureurs est d’être le gestionnaire de patrimoine principal et de le rester. Les clients aisés fréquentent en moyenne 2,5 établissements financiers pour placer leur patrimoine. L’établissement principal possède en moyenne 65 % du patrimoine d’un client aisé, ce qui laisse une part importante à l’extérieur. Plus le niveau de richesse augmente, plus la part du patrimoine confié à l’établissement principal baisse.
Pourquoi ?
C.P. : Aujourd’hui, les opérateurs doivent mesurer et travailler leur clientèle aisée. Souvent, les conseillers en agence n’ont pas la vision du patrimoine détenu par leurs clients et il y a un manque de pertinence en termes de valeur de conseil. C'est de plus en plus significatif lorsque le patrimoine augmente et cela pose la question du devoir de conseil.
Il y a clairement un manque en matière d’expertise, de conseil et d’intensité relationnelle de la part des banques et des compagnies d’assurance, avec un déficit de satisfaction sur le niveau d’exigence des clients aisés. La moitié d’entre eux a déjà quitté sa banque au moins une fois (contre 20 % de la population en moyenne). Dans les raisons invoquées, la mauvaise qualité du conseil arrive en tête devant le manque d’attention à leurs besoins.
L’important pour les conseillers est de renforcer la connaissance du client pour mieux l’accompagner, le fidéliser et faire augmenter la part d’actifs confiée.
Et les femmes parmi la clientèle aisée ?
J.-L. D. : Les femmes aisées sont une population spécifique avec des attentes différentes. Dans 70 % des ménages aisés, les femmes sont actives, donc partie prenante dans l’échange avec le banquier ou l’assureur. 19 % vivent seules et sont pleinement décideuses. En termes d’attentes, ces dernières sont par exemple plus sensibles que les hommes aux produits low cost et plus attentives aux prix des produits et des services financiers.
Dans le même temps, elles sont plus exigeantes sur les services et le conseil et plus suivies par les conseillers en agence. L’assurance vie est par exemple le produit préféré des femmes comme complément de revenu pour la retraite. Certaines enseignes, dont plusieurs banques privées, l’ont bien compris et ont créé des offres spécifiques pour les femmes.
Quels types d’établissements sont les mieux perçus par cette clientèle ?
C. P. : Les banques retails et les compagnies d’assurance ont des notes très moyennes en termes de satisfaction, face à des modèles comme les banques privées et les CGP qui sont mieux perçus. De leur côté, les banques en ligne sont mieux notées en termes de qualité de service.
Au sujet de la préparation à la retraite et même de la préparation à la transmission aux héritiers, banquiers et assureurs ont des notes de satisfaction basses alors que c’est le cœur de ce qu’est en droit d’attendre cette clientèle.
Concernant les produits plus sophistiqués, comme l’assurance vie, les assureurs et les banquiers améliorent leur image grâce à des conseils plus précis, notamment sur le segment des « Wealthy »*. De leur côté, les CGPI bénéficient de taux de satisfaction élevés lorsqu’il s’agit de transmission de patrimoine.
Que rôle joue le digital auprès de ces clients ?
J.-L. D. : L’offre de services digitale est importante car c’est une population ultra connectée. Neuf clients aisés sur 10 utilisent les espaces clients bancaires. Ils sont multi-devices (PC, tablette, portable) avec un taux d’activité en ligne supérieur aux « mass consumers ».
Pour les actes impliquant une souscription d’assurance vie, ces clients continuent de se tourner vers les agences et les conseillers, alors que pour le suivi des comptes, le versement ou l’arbitrage de contrats ou encore la recherche d’informations, ils utilisent de préférence leur espace client en ligne.
Les « Wealthy » sont plus mûrs sur le plan digital alors que les « Affluent » sont plus traditionnels. Internet est plutôt un canal de services, mais une fois que le patrimoine augmente, il devient un canal de transactions. Un client « Emerging » se renseigne en moyenne une fois par an sur un produit financier alors que cela peut aller jusqu’à trente fois par an pour un « Wealthy ».
Que conseillez-vous aux acteurs pour s’améliorer ?
C. P. : Nous proposons aux acteurs de revisiter leur modèle de relation client avec une approche très fine de la connaissance client et une logique de personnalisation : quelle situation de vie ? est-ce un client dirigeant, retraité, une femme ? quels sont ses projets ? quelle est la composition de son patrimoine financier global et son profil de risque ? préfèrent-ils le contact physique ou distant ?
Ceci doit se faire bien évidemment dans un contexte de contraintes économiques et réglementaires fortes. Tout l’enjeu étant pour les acteurs d’anticiper ou d’identifier les quelques moments forts de la relation où l’expérience client doit être irréprochable. Le risque pour les acteurs traditionnels est de se faire concurrencer par des acteurs capables d’une expérience client très différenciante, tels les Gafa [Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR] ou les FinTech.
* définie selon Exton Consulting en trois catégories : les « Emerging » (> 100 K€ de revenus mais avoirs financiers < 100 K€), les « Affluent » (100 K€ à 500 K€ de patrimoine financier) et les « Wealthy » (500 K€ à 1 M€ de patrimoine financier).