Tourd’horizon des nombreux sujets épargne du moment avec Sylvain Rivet, patron desactivités vie et retraite du groupe Monceau depuis bientôt deux ans.
Pournombre d’assureurs de la place, la production d’assurance vie en euros n’estplus une priorité. Quelle lecture faites-vous de ce repositionnement ?
Plusieursfacteurs expliquent ce désamour. D’abord la dissymétrie persistante entre lesattentes des assureurs et celles des assurés. Pour servir les rémunérationsespérées par les épargnants pour leurs investissements de long terme tout enpréservant la garantie du capital, les assureurs doivent aujourd’huis’aventurer sur des territoires d’actifs financiers plus risqués que lessimples OAT. Ensuite, cette prise de risque accrue doit être menée alors mêmeque le métier d’assureur vie en euros voit ses marges se réduire fortement. Au final,la rentabilité actuelle de l’assurance vie en euros ne permet plus de répondreaux attentes de retour sur investissement des actionnaires. Voilà pour lerepositionnement stratégique opéré par beaucoup sur le marché français depuisdeux ans maintenant. Indépendammentdu choix stratégique des uns et des autres, ce désamour de la productiond’affaires nouvelles en euros s’est vu conforté notamment par la politique derémunération attractive de l’épargne liquide proposée par les banques en mal decash. A ce propos, il est intéressant de noter qu’actuellement les plus fortesrémunérations proposées sur quatre mois émanent des établissements financiersliés aux grands constructeurs auto. Une illustration du besoin de liquidités dece secteur au moment où il traverse des difficultés économiques majeures. Cetterémunération attractive de l’épargne liquide n’est évidemment pas favorable àl’investissement de long terme dans l’assurance vie en euros, dans une périodechahutée où le court-termisme des épargnants prévaut. Enfinsi vous ajoutez à tout cela, la forte aversion aux risques des Français et leurculture financière, proche du néant, vous avez là tous les éléments du cocktailtrès amer de l’assurance vie en euros des deux dernières années.
La formation des réseaux de distributionn’est-elle pas en cause ?
Si,sans aucun doute. Notamment par rapport à une maturité financière des Françaisinsuffisante. Systématiquement, les assurés-vie investissent en actions, viales UC, quand elles sont déjà au plus haut et s’en détournent quand le CAC esten bas de cycle. Dès lors, permettez-moi cette lapalissade en affirmant que leconseil formulé par les réseaux manque cruellement de pertinence quand ils sebornent à "vendre" la performance passée. Mais il y a à mon sensplus grave encore : au niveau des politiques de rémunérations des réseauxvie-épargne. Très souvent, le commercial est rémunéré différemment selon qu’ila distribué du fonds euros ou des UC. Compte tenu de la dissymétrie desattentes et des intérêts des assureurs d’un côté, et des assurés de l’autre,cette politique de rémunération, à laquelle Monceau se refuse, est délétère.
Qu’en est-il chez Monceau assurancesvis-à-vis du fonds euros ?
Legroupe a choisi une voie médiane avec un fond euros davantage diversifié que lamoyenne du marché. Avec 8 % d’actions, 12 % d’obligations convertibles en actionset 5% d’immobilier, notre fond euros est investi en actifs à risque à hauteurde 25 %. Face à l’aversion au risque des épargnants, le groupe Monceau a fait lechoix de prendre le risque collectivement pour le compte de ses sociétaires. Entant que groupe spécialiste de la retraite, Monceau peut gérer sur un termeplus long et s’éviter l’inefficacité du court terme pour l’épargnant. Troisautres caractéristiques du groupe Monceau nous différencient de la concurrence.D’abord les taux servis sont les mêmes pour tous, que le contrat reste ouvertou non à la souscription. Ensuite, les actifs liés à chaque produit Monceausont cantonnés. C’est une grosse différence par rapport au fonds général enplace chez quasi tous les assureurs où l’on trouve, outre l’épargne des assurés,les fonds propres de l’assureur. Parce que les fonds propres doivent eux aussiêtre rémunérés, le fonds général entretient une certaine opacité sur ce qui estdû à l’assuré. Enfin, dernier choix stratégique significatif du groupeMonceau : nous n’utilisons pas la provision pour participation auxexcédents (PPE). Pour éviter de générer de l’iniquité entre générationsd’assurés, nous distribuons chaque année 100 % des produits financiers. Lerendement servi sans PPE est certes plus volatil, mais tous les sociétairessont sur un pied d’égalité.
Cette stratégie atypique a-t-elle payé en2012 ?
D’abord,je tiens à dire que cette politique est la nôtre depuis notre création en 1955et n’a donc rien d’opportuniste. Et sur les dix dernières années, les rendementsservis sur nos contrats vie en euros se situent clairement dans le premierquartile du marché. Sur 2012, la collecte est en baisse de 3,5 % contre unebaisse de 10 % sur le marché de l’épargne individuelle. Depuis le début del’année, notre activité reste orientée à la baisse, à l’instar de celle desassureurs vie traditionnels. En parallèle de cette baisse de l’activitéépargne, la retraite a progressé de 6 points en 2012 pour représenteraujourd’hui 15 % de notre chiffre d’affaires total. La tendance s’est accéléréeen 2013, avec désormais une croissance à deux chiffres de nos produits retraitecomme le Perp. Compte tenu de l’environnement, il est heureux de faire mieuxque le marché dans son ensemble. Toutefois et compte tenu de la qualité de nosoffres, nous devrions faire bien mieux.
Que pensez-vous des préconisations desdéputés Karine Berger et Dominique Lefebvre dans leur rapport sur l’épargnelongue ?
Lapremière d’entre elle qui consiste à mettre en place un nouveau contrat vie, l’Eurocroissance, ne me semble pas plus favorable au financement de l’économie parl’épargne longue que les produits déjà existants. Ce que j’évoquais àl’instant, à savoir la politique d’actifs diversifiés du groupe Monceau pourson fond en euros, illustre selon moi la palette d’outils déjà à la dispositiondes assureurs. Et il est nul besoin d’un nouveau texte, ou d’un énième rapport,pour financer l’économie réelle, et notamment les PME ; on peut d’ailleurspenser que le financement des entreprises est premièrement la mission desbanquiers... L’autre préconisation du rapport Berger-Lefebvre consiste à accentuerla pression fiscale sur certains assurés, ceux disposant des plus gros encours,déstabilisant à nouveau notre paysage fiscal. Par ailleurs, la mise en œuvred’un fichier unique nécessaire pour pointer cette population se révélerakafkaïenne. En outre, elle pourrait se traduire par un défaut de conseil pourles distributeurs : conseiller ou plutôt contraindre un assuré vie de 92 ans de mettre son épargne en risque posera immanquablement un problème auregard des obligations de conseil du distributeur. Enfin, le vrai sujetimmédiat c’est la retraite, et l’impérieuse nécessité pour les Français d’yconsacrer une partie de leur épargne. Vu l’ampleur du sujet, l’Etat devrait àmon sens y consacrer une enveloppe fiscale susceptible de l’encourager plutôtque de se pencher tous les six mois sur la seule fiscalité de l’épargne et derajouter régulièrement une rustine toujours insuffisante à nos régimes derépartition en perdition.
SylvainRivet est également directeur général de Capma & Capmi et de Monceau retraite& épargne