Retraite complémentaire

Les groupes de protection sociale poussés à la retraite

Publié le 3 novembre 2015 à 6h00    Mis à jour le 26 novembre 2015 à 14h09

Séverine Charon

En déficit, les régimes Agirc Arrco ont imposé aux GPS de réaliser des économies. Un système d'information unique dédié à la retraite doit être mis en place. Mais le strict encadrement de la retraite complémentaire va-t-il amener les GPS à s'en désintéresser ?

Séverine Charon
journaliste

Acteurs incontournables du monde des assurances collectives, les institutions de prévoyance (IP) ont collecté en 2014 plus de 27 Md€ de cotisations, selon les chiffres publiés par le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP). Ces chiffres incluent les cotisations collectées par les IP qui ne font pas partie d'un groupe de protection sociale (GPS), comme Uniprévoyance ou l'Apgis.

Sur la même période, les cotisations liées à la retraite complémentaire qui ont été versées par les entreprises aux institutions de retraite Agirc et Arrco étaient de 70 Md€. Plus précisément, selon les dernières données consolidées par l'Agirc Arrco, sur la base des encaissements de l'année 2013, la retraite pèse en moyenne 74 % dans un GPS, contre 26 % seulement pour les activités concurrentielles. À l'exception notable des groupes AG2R La Mondiale et Pro BTP, dont l'activité se partage à part à peu près égale entre retraite complémentaire et activités concurrentielles, le poids de la première activité est en règle générale beaucoup plus important.

En termes de personnes protégées aussi, la retraite pèse plus lourd que les assurances collectives dans les GPS : en 2014, ceux-ci couvraient 18 millions de salariés en retraite complémentaire, 13,2 millions en prévoyance et 7,2 millions en santé. En termes d'effectifs, les GPS emploient de l'ordre de 14 000 personnes (équivalent temps plein) sur la retraite. La stratégie des GPS dans le domaine des assurances de personnes, en santé et en prévoyance mais aussi en retraite supplémentaire voire en épargne salariale, est souvent scrutée. Pourtant, pour comprendre la marche globale d'un GPS, il ne faut surtout pas oublier le poids de l'activité retraite et les contraintes de ce métier historique. L'activité de gestion, qui consiste à appeler les cotisations des actifs et à verser les pensions des retraités, est une mission déléguée par les fédérations Agirc Arrco. En matière de retraite, les GPS ne sont donc pas souverains sur leur activité : ils mettent en œuvre les directives des fédérations Agirc Arrco. Et aujourd'hui, les objectifs fixés aux pôles retraite des GPS diffèrent grandement de ceux du pôle concurrentiel.

À l'heure de l'ANI, pour tous les organismes actifs dans les assurances de personnes, y compris les institutions de prévoyance, le mot d'ordre est au développement commercial et aux investissements. Pour la retraite complémentaire, la priorité est au contraire donnée aux réductions de coûts.

Un plan d'amélioration de la qualité de gestion de la retraite complémentaire a en effet été entériné par les partenaires sociaux de l'Agirc Arrco en novembre 2013. Il fixe un objectif de réduction des coûts de 300 M€ à l'horizon 2018. À cette date, les coûts de gestion des régimes de retraite complémentaire devront avoir été ramenés à 1,6 Md€, contre 1,9 Md€ en 2012. En parallèle, la sémantique atteste aussi que les temps changent. Alors que les GPS se voyaient fixer par les instances Agirc Arrco des « contrats d'objectifs » depuis 2001, ils doivent maintenant réaliser des « contrats d'objectifs et de moyens » , sous contrainte de budget. Ces contrats ont une durée de quatre ans. Le dernier s'est achevé en 2014 et définissait pas moins de dix-neuf objectifs relatifs à des actions et des cibles communes à l'ensemble des groupes.

Pression de plus en plus forte

Étant donné l'état de santé financier des régimes Agirc et Arrco, la pression est de plus en plus forte. Il faut que les partenaires sociaux rendent les caisses Agirc Arrco plus efficaces, sous peine de se voir accuser de dilapider l'argent des retraités et des salariés. Pour mémoire, les deux régimes étaient déficitaires en 2014, avec un résultat global de -2 Md€ pour l'Agirc (pour 19,15 Md€ de ressources) et de -1,1 Md€ pour l'Arrco (pour 41 Md€ de ressources). Fin 2014, le coût de gestion de la retraite complémentaire déléguée aux GPS était donc déjà sous le feu des projecteurs puisque la Cour des comptes, dans un rapport sur le déficit des régimes Agirc Arrco, alertait sur le besoin urgent qu'il y avait pour les GPS à assumer la mission déléguée par l'Agirc Arrco à un meilleur coût. « Les économies que doivent faire chaque groupe font l'objet d'un chiffrage réalisé par les équipes des fédérations Agirc Arrco. Ce chiffrage, transmis à chacun des groupes, sert de base aux échanges. Ainsi, le plan d'économies est bien initié par les fédérations, et adopté par les différents conseils d'administration des GPS. Le plan d'économies sera donc finalisé pour la fin de l'année et donnera lieu à actualisation annuelle », indique François-Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc Arrco. Depuis la décision de 2013, Agirc Arrco et GPS négocient pour trouver comment réaliser ces économies.

« L'activité de la retraite est normée par l'Agirc Arrco, et les partenaires sociaux ont engagé un plan d'économie auquel chacun contribue. Depuis début 2013, Humanis a établi une trajectoire pour réaliser les économies visées. Nous chassons les coûts inutiles et, dans le même temps, nous travaillons sur l'amélioration de notre productivité » explique Frédéric Roullier, directeur de la retraite chez Humanis. Fort heureusement pour les GPS, ce plan d'économie se réfère aux dépenses de l'année 2012, qui constituent de l'avis général une base assez élevée : le méga projet informatique de l'usine retraite, le système d'information dédié à cette activité, était alors en plein déploiement, et les dépenses informatiques étaient d'autant plus conséquentes.

D'ailleurs, sur l'enveloppe globale de 300 M€ d'économie, environ 200 millions proviendront d'une réduction des frais informatiques rendue possible par l'unification du système d'information retraite, le grand projet de la dernière décennie. Un programme de mutualisation visant à la creation d'un unique systeme d'information retraite complementaire (SI-RC), ou « l'usine retraite », est lancé en 2003. Le coût de construction de l'usine retraite est alors censé représenter 300 M€ et contribuer à réduire de cinq points le poids des coûts informatiques, de 20,7 % a 16 % dans les dépenses globales à horizon 2014. « Le déploiement du dispositif devrait coûter au total plus de 570 M€ et ne s'achever qu'en 2016. Au total, la mise en place de l'usine retraite se ferait à un coût supérieur de 64 % aux estimations initiales, soit un surcoût de 340 M€ » écrit la Cour des comptes.

Découper l'usine en briques

À l'origine de ces dérapages, nombre d'observateurs pointent la manière dont le projet a été mené. N'optant pas pour une centralisation du développement informatique dès le départ, les instances de l'Agirc Arrco ont décidé de découper l'usine retraite en « briques » dont le développement informatique a été confié aux différents GPS. Ensuite, chaque GPS a eu à déployer chez lui les différentes briques... « Pour le groupe Humanis, l'usine retraite a occasionné vingt projets de migration et de convergences informatiques menés depuis 2011. Le dernier est programmé pour la fin de l'année », indique Frédéric Roullier. Au total, il aura fallu plus de dix ans pour que le projet prenne vraiment forme.

L'informatique est capitale, mais le système d'information unique n'est pas la panacée pour tout le monde. Ce principe décidé par l'Agirc Arrco heurte notamment la conception qu'a le groupe Pro BTP du métier de GPS. Le groupe professionnel de la branche du bâtiment s'est toujours développé de manière équilibrée entre retraite complémentaire et activités concurrentielles, et les deux pôles de poids comparables se partagent un système d'information intégré. L'Agirc Arrco a décidé de mettre en place ce grand projet de système d'information partagé par tous les GPS dédié au métier retraite, mais les instances centrales n'ont pu rester totalement sourdes aux réticences de Pro BTP. Car le groupe fait justement figure de bon élève en termes de coûts de gestion, tant en retraite complémentaire qu'en assurance de personnes. Selon le rapport de la Cour des comptes, Pro BTP affiche ainsi des coûts inférieurs de 30 % à ceux de Malakoff Médéric et de 20 % à ceux d'AG2R La Mondiale, alors que les volumes traités par Pro BTP sont inférieurs à ceux de chacun des deux autres groupes, pour des niveaux de rémunération identiques. L'Agirc Arrco a donc fait quelques concessions par rapport au projet initial et l'usine retraite consistera bien en une seule usine, mais deux plates-formes demeureront. Sur la première, tous les GPS interprofessionnels ; sur la deuxième, Pro BTP, avec les autres groupes professionnels qui auront accepté de rejoindre cette plate-forme. En matière de collecte des cotisations, l'heure est aussi à la simplification et à l'application des directives de l'Agirc Arrco.

Contrairement aux apparences, une certaine dose de concurrence existait encore en matière de retraite complémentaire, puisque dans chaque département, deux GPS étaient désignés et pouvaient recueillir les adhésions des nouvelles entreprises. Dans chaque département, deux GPS se faisaient donc concurrence. Cette période est révolue : le 19 septembre 2014, les commissions paritaires de l'Agirc Arrco ont validé une mesure qui prévoit de désigner un seul GPS par département. Depuis son entrée en vigueur le 1er janvier dernier, finies les doubles démarches de prospection auprès des entreprises en création. Les GPS n'ont même plus à chercher à augmenter leur « part de marché ». Toujours pour simplifier la gestion, les instances Agirc Arrco ont aussi mis en œuvre le regroupement des affiliations des entreprises. Pour abaisser le coût de la gestion de la retraite complémentaire, il a été décidé en haut lieu que toutes les entreprises seraient affiliées aux caisses Agirc Arrco d'un même GPS. Cette mesure, imposée là encore, a donné lieu à de savantes répartitions d'entreprises adhérentes car la contrainte était aussi que le poids des GPS en retraite ne soit pas modifié. « La rationalisation a d'abord touché les petites entreprises dont les contrats retraite sont gérés par plusieurs groupes. Quand elles relèvent d'un secteur clairement affecté à un GPS, elles ont vocation à rejoindre ce GPS : par exemple, 15 000 entreprises issues du secteur agricole jusque-là affiliées chez Humanis vont être basculées chez Agrica. Sur le secteur interprofessionnel, c'est en général la règle des plus gros effectifs gérés qui joue. Dans ce cadre, une partie des clients d'Humanis va être affectée à d'autres GPS, tandis que le groupe va récupérer des contrats traités par d'autres. En lien avec ce projet de simplification, il a été décidé par l'Agirc Arrco que l'enseignement privé sous contrat, que nous partagions jusque-là majoritairement avec B2V, nous soit totalement attribué », explique Frédéric Roullier.

Source : Les cahiers de la retraite complémentaire - n°18 - 2014

Incitation à la vertu

Dans ce contexte où les contraintes dictées par les fédérations Agirc et Arrco deviennent plus nombreuses et plus fortes, quel est aujourd'hui l'intérêt de gérer la retraite complémentaire pour un GPS ? D'abord, cette mission fait complètement partie de l'histoire des GPS, et elle est même à l'origine de leur développement. « L'activité retraite est désormais très contrainte. Nos budgets sont définis en deux parties : les dotations de gestion demeurent, et il y a un dispositif de bonus, puisque les excédents nous reviennent. En revanche, sur tous les projets, et notamment l'informatique, nous n'avons pas la possibilité d'engager un seul euro si les fédérations Agirc Arrco ne l'autorisent pas », explique Yann Charron, Malakoff Médéric. Mais si les objectifs sont respectés, le GPS en tire bénéfice. « Si un groupe dépense moins que les dotations de gestion qui lui sont allouées, l'excédent vient alimenter ses réserves de gestion. Cela constitue une incitation à la vertu. A l'inverse, si les coûts sont plus importants que les dotations, grâce à la procédure de reporting que nous mettons en place en 2016, il n'y aura plus de dérapage possible », explique François-Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc Arrco. Si le métier de la retraite complémentaire est de plus en plus gendarmé par l'Agirc Arrco qui met en place un pilotage des dépenses, l'intérêt d'avoir des centaines de milliers d'entreprises affiliées en retraite complémentaire demeure. Les GPS conservent malgré tout la main sur des fichiers clients peu commun. « La retraite fait partie de l'histoire des GPS, et elle les a marqués, notamment en termes de gouvernance. Par ailleurs, retraite et prévoyance ont des clients en commun. Et il est plus facile d'aller voir le DRH d'une entreprise lorsqu'il est déjà client en retraite », explique Yann Charron.

« L'activité de la retraite est désormais très contrainte, mais pour autant, elle nous apporte des idées et nous pouvons tirer de vraies synergies entre les deux grands pôles du groupe. Dans la recherche du meilleur service au client, gérer la retraite est un atout. Si Humanis utilise depuis 2011 le logiciel usine retraite partagé au sein du GIRC avec Apicil et Klésia, l'outil de gestion de la relation client est bien celui d'Humanis. Et de notre point de vue, la retraite fait pleinement partie des produits qui constituent une protection sociale globale », explique Frédéric Roullier. « Si le système informatique de gestion opérationnelle est centralisé en retraite, chaque GPS garde la main sur la relation client et l'outil informatique qui permet de la gérer », confirme Catherine Abiven, directrice générale déléguée de Klésia. La complémentarité des assurances de personnes avec la retraite complémentaire est indéniable. En outre, les GPS sont souverains sur les activités concurrentielles. Reste à se conformer aux choix et directives de l'Agirc Arrco pour la retraite sans qu'un gouffre ne se forme entre les équipes des activités concurrentielles, qui doivent travailler plus pour gagner plus, et celles de la retraite, qui doivent travailler mieux pour dépenser moins.

Mais se conformer aux directives des fédérations ménage quelques avantages : « Plus nous travaillons sur le sujet de la réduction des frais de gestion, plus nous identifions des gisements. En matière d'achats par exemple, la mutualisation et la massification est un levier d'économies substantielles », souligne François-Xavier Selleret. La décision de centraliser les achats pour obtenir de meilleurs prix a été entérinée. « Sur certains sujets, le pôle assurance peut bénéficier des travaux de la retraite, et notamment sur les achats. Il appartiendra à chaque GPS de décider s'il fait bénéficier son pôle concurrentiel des possibilités offertes par la centralisation décidée par l'Agirc Arrco », confirme Yann Charron.

À noter que sur le plan des ressources humaines, l'enjeu pour les différents groupes est de donner à tous les salariés le sentiment de travailler sur un même projet alors que les déclinaisons par pôle sont sensiblement différentes. « L'extension de l'usine retraite unifie de plus en plus les activités retraite des GPS, mais la différenciation avec les activités assurantielles s'accentue. Pour ces dernières, nous développons une stratégie propre, pour la retraite, nous appliquons les décisions de l'Agirc Arrco. Les résultats de notre premier baromètre RH, réalisé fin 2014, ont révélé que les collaborateurs de la retraite se sentaient peu impliqués dans cette stratégie. Nous avons donc recadré notre plan stratégique début 2015 en y incluant la retraite, et en lançant un programme d'accompagnement au changement. Ce programme a commencé par le comité de direction, et a ensuite été déployé auprès du comité de coordination, qui compte une centaine de managers. En novembre, 450 managers vont être réunis en séminaire et pourront ensuite décliner avec leurs équipes comment ces changements doivent impacter leur activité », explique Catherine Abiven.

L'autre grand défi

La mise en œuvre de Solvabilité II est un autre grand défi qui peut pousser à écarteler les groupes. Tout au long des discussions sur la réforme, le CTIP a cherché à faire respecter le fonctionnement paritaire de ses membres. La concertation avec les pouvoirs publics et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a permis de prendre en compte les spécificités des institutions de prévoyance et des groupes de protection sociale. Une structure de groupe relevant du Code de la sécurité sociale permettra aux institutions de prévoyance paritaires de constituer des groupes prudentiels au sens de Solvabilité II.

La société de groupe assurantiel de protection sociale (SGAPS), porteuse de liens de solidarité financière entre les entités affiliées et exerçant une influence dominante sur celles-ci, devra répondre aux exigences de Solvabilité II. Le groupement assurantiel de protection sociale (GAPS) sera la structure pour nouer des partenariats sans lien de solidarité financière et sans exercice d'influence dominante. Mais ces avancées ne donnent pas une réponse à toutes les questions posées aux GPS par la réforme prudentielle. D'abord, la retraite bénéficie de certaines pratiques introduites par Solvabilité II et qui ont parues positives à l'Agirc Arrco. « L'activité retraite n'est pas incluse dans le périmètre soumis à Solvabilité II mais nous avons toutefois décidé de reprendre un certains nombre de principes introduits par ce texte, notamment des questions de contrôle interne et de risques opérationnels », indique François-Xavier Selleret.

Pour autant, Solvabilité II peut aussi avoir des effets délétères en séparant les deux composantes d'un seul GPS. « L'ACPR, la tutelle des organismes d'assurance, exige qu'il existe une structure de tête qu'elle puisse contrôler. Cette structure n'a pas de compétence pour la retraite complémentaire. Nous sommes attentifs à garantir l'unité du groupe », prévient François-Xavier Selleret.

Pour aller plus loin, l'ACPR vise à protéger les intérêts de l'assuré, alors que l'Agirc Arrco veille sur le cotisant et le pensionné. Et si Solvabilité II ne s'applique qu'aux activités concurrentielles, certaines analyses juridiques soulignent que l'activité retraite pourrait être mobilisée en cas de défaillance des activités concurrentielles d'un GPS.

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