Le contexte réglementaire contraint les sociétés de gestion à adapter leur offre produits, leur système d'information, et à élever la qualité de leurs services.
Depuis quelques années, les sociétés de gestion doivent faire face à un flot de réglementations qui s'abattent sur elles. Non seulement celles qui les concernent directement (OPCVM IV, taxe sur les transactions financières, lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme...), mais aussi celles qui touchent d'autres institutions financières auxquelles elles peuvent être liées (Solvabilité II, Bâle 3...). Ces contraintes entraînent de facto des répercussions qui ne sont pas sans conséquence sur leur organisation et sur les allocations d'actifs.
Parmi ces réglementations, la future entrée en vigueur de Solvabilité II chez les assureurs touche particulièrement l'industrie de la gestion, car l'assurance représente, pour certaines sociétés, l'essentiel des encours sous gestion. Cette directive est donc considérée comme un projet stratégique par bon nombre d'entre elles, qui se préparent à des évolutions. Les assureurs seront tenus de répondre à ses exigences, qui leur imposent des règles strictes, notamment en termes de calcul de capitaux réglementaires liés à l'exposition de leur portefeuille (SCR). Une valorisation mensuelle au prix de marché de la totalité des titres détenus devra aussi être effectuée. Les assureurs se retourneront tout naturellement vers les sociétés qui gèrent leurs fonds propres, pour qu'elles leur fournissent les informations demandées. Solvabilité II aura donc pour elles des conséquences tant sur le plan commercial - car elles devront mettre en avant leur savoir-faire en ce domaine - que sur le plan technologique et des services.
Les données à la loupe
Aujourd'hui, dans les appels d'offres, les investisseurs portent une attention particulière à l'organisation des back office et middle office, ainsi qu'aux méthodes de traitement des données. Ils cherchent à s'assurer que les sociétés de gestion auront les moyens de produire des reportings fiables. «Il est à craindre que, lors des appels d'offres, certains assureurs recentrent leur gestion et retiennent une société de gestion unique, qu'ils jugent la mieux apte à leur fournir des informations de qualité», avance un gestionnaire.
L'enjeu sera donc de fournir des données cohérentes, lisibles sous un format assimilable par tous, qui seront le résultat d'un important travail interne de normalisation. Par exemple, les OPCVM qui se trouvent dans les portefeuilles des assureurs vie devront faire apparaître leur composition ligne par ligne. «Solvabilité II bouleverse la chaîne de la mise à disposition des données, constate Gontran Peubez, senior manager, conseil assurance chez Deloitte. Les asset managers doivent repenser leur chaîne de production pour élaborer des indicateurs de risque en temps réel et sortir des reportings trimestriels de qualité. Ils doivent donc se mettre à niveau, sinon l'assureur ira vers celui qui proposera le modèle le plus fiable et adapté. Leur principal atout concurrentiel est basé sur cette industrialisation des process.»
Aussi, pour produire les reportings réglementaires, les sociétés de gestion doivent effectuer de nouveaux développements informatiques et commerciaux. La plupart des grands acteurs ont entamé des démarches de rationalisation de leurs systèmes d'information, en créant des outils informatiques dédiés et en spécialisant des équipes : pour la gestion des données, pour les calculs d'exposition au risque des portefeuilles et pour la mise en forme des rapports d'activité.
Certaines sociétés développent des modèles internes. C'est le cas d'OFI AM qui, pour répondre aux problématiques réglementaires de ses clients, a créé un groupe de travail transversal depuis deux ans, impliquant l'enrichissement des données référentielles produits et la mise à plat de la documentation des procédures, l'analyse et le suivi des risques et les reportings SCR marché. Ainsi, une démarche de formation des équipes de gestion a-t-elle été entreprise pour fournir les éléments requis aux assureurs. Du côté commercial, les équipes ont également été réorganisées, afin de déployer des moyens marketing supplémentaires. C'est également dans la perspective de Solvabilité II que s'inscrit l'échange de participation entre le groupe MGEN et OFI partenaires. «Notre gestion restera différente, mais nous avons l'intention de développer des outils de reporting communs dans le cadre de cette réglementation», explique Nicolas Demont, directeur général d'Egamo.
L'allocation d'actifs bousculée
Mais l'industrialisation des process nécessite de la technicité et la demande est telle que des sociétés spécialisées développent des outils à destination des assureurs et des sociétés de gestion afin de renforcer la transparence des informations financières. C'est dans cet objectif que l'entreprise internationale SimCorp, fournisseur de logiciels et de services pour le secteur financier, a développé sa solution d'industrialisation de l'ensemble de la chaîne de la gestion d'actifs assurantielle (lire ci-contre).
L'ensemble de ces contraintes a forcément des impacts sur la rentabilité des sociétés de gestion, à un moment où les encours sont en baisse et où la pression sur les marges s'intensifie. C'est ainsi qu'on assiste actuellement sur le marché à un mouvement en faveur des rapprochements de petites maisons de gestion, dont l'un des objectifs est de rationaliser les coûts en termes de locaux, de systèmes d'information...
Ces contraintes pèseront également sur l'allocation d'actifs. Dans la mesure où les assureurs sont poussés par la réglementation à limiter leurs investissements sur des actifs risqués, les gérants se trouvent obligés de faire évoluer leurs offres de produits en intégrant une optimisation SCR. Dans ce cadre, Axa IM a créé des parts d'OPCVM qui réduisent la consommation en capital et la volatilité. Pour Nicolas Demont, «Solvabilité II crée une contrainte supplémentaire pour la gestion d'actifs : il faudra notamment prendre en compte le calcul SCR avec discernement. Ainsi, certains actifs risqués sont pénalisés, mais ils peuvent avoir du sens au regard des fonds propres des mutuelles ou des passifs des investisseurs institutionnels. A contrario, les obligations d'Etat sont considérées comme sans risque dans Solvabilité II, or l'actualité a démontré que ce n'est pas le cas».
Macif a, de son côté, ajusté son exposition aux actions. «Aujourd'hui, la moyenne des placements actions dans les portefeuilles des entités du groupe (Macif, Macif mutualité, Mutavie) est à 8 %, certains portefeuilles étant à 0 % et d'autres entre 5 % et 10 %», détaille Hugues Fournier, directeur général de Macif gestion. Jean-Louis Charles, directeur des investissements d'AG2R La Mondiale, estime quant à lui que «la pression sur Solvabilité II s'est légèrement relâchée. L'investissement sur la poche actions est maintenu à 7 %, sur l'immobilier à 8 % et le reste est investi en produits de taux».
Saisir les opportunités
Michaël Sfez, directeur général de Russell Investments France, considère plutôt que Solvabilité II donne une opportunité aux investisseurs institutionnels d'aller vers de nouvelles classes d'actifs, mais avec un contrôle continu de leurs risques. «Cela va dans notre direction, puisque nous avons développé une approche en fonds de mandats depuis 30 ans, qui consiste à donner des mandats aux différents gérants, parties prenantes dans un fonds. Dans chaque portefeuille, nous avons une vision précise de chacune des gestions et, tout en offrant une expertise externe, nous avons la capacité de maîtriser les risques en toute transparence.»
A priori, la réglementation Bâle 3, qui concerne exclusivement les banques, ne touche pas les sociétés de gestion. En réalité, elle pénalise, d'un côté, les sociétés qui ne placent plus leurs OPCVM auprès des banques qui ont orienté leurs clients vers l'épargne de bilan. Et d'un autre côté, elle crée de nouvelles ressources. Les banques contraintes d'appliquer les ratios de liquidité de Bâle 3 afin de renforcer leurs fonds propres sont, dans ce cadre, enclines à limiter leurs engagements, ce qui se traduit par une raréfaction des prêts. Les entreprises se trouvent aujourd'hui pénalisées par ces règles qui affectent les volumes de crédits et celles qui en ont les moyens s'adressent directement au marché. C'est ainsi que la contraction des bilans bancaires crée des opportunités pour les sociétés de gestion, dont l'offre s'enrichit de nouveaux fonds proposant des rendements plus élevés que les obligations d'Etat.
"Nous donnons des mandats aux gérants, parties prenantes dans un fonds. Dans chaque portefeuille, nous avons une vision précise de chacune des gestions et, tout en offrant une expertise externe, nous avons la capacité de maîtriser les risques en toute transparence."
Michaël Sfez
Russell Investments France