Le poil à gratter du juste prix

Publié le 4 juillet 2013 à 6h00    Mis à jour le 22 octobre 2015 à 12h39

Cédric Morin

La réduction des coûts est devenue un sujet stratégique pour tous les acteurs du secteur. Les directions achats gagnent donc du galon en veillant aux dépenses des services fonctionnels, mais aussi au référencement et au contrôle des prestataires.

Mobilier de bureau, prestations intellectuelles, abonnement presse, note de frais, indemnisation des sinistres... La moindre dépense passe désormais à la moulinette des directeurs achats ! Impossible d'y échapper. Alors que le secteur de l'assurance a tardé à se doter de professionnels du sujet, il est en passe d'être aussi bien structuré que celui, par exemple, de l'aéronautique, où les politiques d'achats font partie intégrante des stratégies d'entreprises. « Dans le secteur tertiaire, le développement de ces services est récent, contrairement à l'informatique ou à l'automobile, remarque François Chabal, associé du cabinet Léon Cogniet conseil. L'expansion des politiques d'achats est liée à celle de la sous-traitance, car dès que l'on sous-traite, on achète - les constructeurs automobiles ou informatiques sont avant tout des assembleurs. Dès lors, ces sociétés ont intégré des stratégies d'achats. »

Et si toutes les dépenses sont désormais passées au crible, les achats assurance (achats "cœur de métier" des sociétés d'assurance) revêtent bien entendu une dimension stratégique. Plusieurs initiatives ont donc fleuri dans le domaine ces dernières années. Par exemple, en auto, Maif privilégie les pièces de réemploi plutôt que le remplacement dans le cadre de sa politique de gestion de sinistre. A l'échelle d'un portefeuille aussi conséquent que celui de la mutuelle niortaise, les gains sont importants, même si elle reste discrète sur le montant des économies. Mais, dans la pratique, généraliser cette offre est particulièrement compliqué. Cela suppose en effet de trouver des réseaux de casses automobiles suffisamment développés et fiables pour répondre à la demande sur l'ensemble du territoire avec une qualité de service uniforme. Raison pour laquelle cette perspective très alléchante sur le papier peut s'avérer coûteuse et hasardeuse à développer. Voilà le type de mission que les directions achats peuvent être amenées à piloter. Un sujet stratégique bien loin des négociations sur le prix des stylos ou sur le coût d'une étude clients.

Démarrer par les frais généraux

Et si les achats assurance font actuellement l'objet de grandes manœuvres, d'une manière générale, c'est avant tout sur les frais généraux que les compagnies ont commencé à développer des politiques d'achats, commele souligne Ludovic Granese, l'ancien directeur achats de Generali et d'Aviva : « Il faut différencier les achats directs constitutifs du métier de l'assurance, de ceux qui sont indirects et hors production. C'est par ces derniers qu'on commence une politique de conduite du changement, mais tous ne font pas l'objet de politiques d'achats. » L'exemple type est celui des ressources humaines pour lesquelles les directions achats interviennent encore relativement peu, en raison du caractère explosif sur le plan social qu'induiraient ces démarches.

En revanche, elles se saisissent bien volontiers de postes de dépenses comme le matériel ou les services informatiques, le mobilier de bureau, les flottes de véhicules dans une moindre mesure, et certaines prestations de services comme l'entretien des locaux. Et contrairement aux idées reçues, la démarche est très loin du cost killing, poursuit Ludovic Granese : « Dans le secteur du bâtiment, de la communication ou des prestations intellectuelles, on peut considérer que la maturité et la légitimité des politiques d'achats est acquise et on arrive au bout de la professionnalisation. Désormais, le marché des fournisseurs a identifié ses interlocuteurs, et, ils ont compris que nous fonctionnions sur un principe de guichet unique. »

Une réduction des coûts de 10 à 15 %

Dans le domaine des achats assurance, les politiques menées sont très différentes dans la mesure où elles relèvent des stratégies des groupes. Elles ne sont pas confiées à ces seuls services qui ont généralement une fonction de support. Ce qui est d'ailleurs paradoxal compte tenu de leur caractère stratégique et de leur échange permanent avec les différents membres de direction. Et si toutes les entreprises ont pris conscience de l'intérêt de la direction achats, certaines sociétés sont plus avancées que d'autres. Il s'agit généralement des plus grands groupes.

Mais quelles que soient l'organisation retenue et la taille de la structure, il faut dissocier les achats dont la motivation n'est pas seulement le coût, mais intègre aussi la performance de l'entreprise. « Pour des rouleaux de papiers, seul le prix compte. Mais ce n'est pas le cas s'il s'agit de constituer un réseau d'avocats, de médecins ou d'experts automobile : le coût des honoraires n'est pas neutre, mais c'est la qualité de leurs interventions qui touchera le plus les comptes d'exploitations », précise Michel Gougnard, DG délégué de Covéa AIS, sans doute parmi les acteurs les plus en pointe sur le sujet, du fait de sa capacité à mutualiser les achats entre ses trois enseignes (GMF, Maaf et MMA).

L'économie d'échelle est bien entendu un des leviers d'une stratégie achats efficace. Mais il n'est pas le seul. La capacité à référencer les meilleurs prestataires ou mettre en place des contrats cadres sont aussi des solutions déterminantes, au résultat souvent immédiat. La grande majorité des professionnels interrogés s'accorde à dire qu'une politique achats menée de manière professionnelle permet de réduire les coûts de 10 à 15 % dès la première année, et cela, quelle que soit la nature de la dépense.

« Depuis deux ans, nous avons pu économiser de 10 à 15 % du montant total lié aux frais de consulting, hors secteur technologique. Au total, cela représente environ 10 M€ sur un volume global de 100 M€ », se félicite Réginald Henry, directeur des achats du groupe Axa, qui profite de sa force de frappe et de sa taille considérable pour négocier au plus serré les tarifs (lire aussi ci-dessus). La politique mise en œuvre par Axa lui a ainsi permis de centraliser les achats de 70 % de son parc informatique et environ 60 % de sa flotte automobile. La compagnie d'Henri de Castries a, de fait, été l'une des premières à s'intéresser au sujet et à jouer la carte de la globalisation. Voire de la « massification » pour reprendre un terme d'Alain Page-Lecuyer, l'ancien directeur achats du groupe, qui a œuvré a mettre sur pied une direction achats efficace et à le faire savoir en interne pour faciliter la compréhension du métier auprès des collaborateurs.

D'autres acteurs de taille plus modeste ont mis plus de temps à y venir. « Chez les petits assureurs, il y a encore des gains importants à réaliser, mais ceci est moins le cas pour les plus gros acteurs du marché, qui se sont fortement structurés ces dernières années », confirme Laurent Corbineau, associé chez Ernst & Young et spécialiste de la réduction des coûts (lire l'interview ci-dessus).

Alors qui se cache derrière les directions achats qui font de plus en plus la pluie et le bon temps au sein des entreprises ? Il s'agit, d'une part, de diplômés de master 2 spécialisés dans ces fonctions et dont le niveau de responsabilité dépendra de l'expérience. D'autre part, les groupes intègrent dans leurs équipes achats des spécialistes métiers en mobilité interne. C'est la solution retenue notamment par AG2R La Mondiale et Allianz. « La direction des ressources humaines met en œuvre des cursus de formation sur la problématique des achats ; c'est seulement si nous ne trouvons pas les ressources en interne que nous nous tournons vers des profils déjà spécialisés », explique Pascal Folliot, directeur des achats chez AG2R la Mondiale. « L'acheteur a un rôle de chef de projet », complète Pierre-Edouard Carteron, directeur de l'immobilier d'exploitation, de la logistique et des achats, pour résumer la manière dont ses équipes associent les directions et les services fonctionnels à leur démarche.

Diffuser la culture de groupe

Axa, de son côté, passe par des cabinets de conseil spécialisés ou forme directement des salariés. Cette formation dédiée est composée de modules couvrant entre autres le processus achats, l'évaluation du marché et du risque fournisseurs, et la négociation. Les sessions rassemblent généralement une quinzaine de participants de plusieurs entités, ce qui permet d'échanger sur les bonnes pratiques et de créer des liens entre les acheteurs. Mais cela peut ne pas suffire... « Pour être crédible, il faut des experts métiers en plus des spécialistes des achats : c'est indispensable pour comprendre les besoins des clients et être légitime auprès des équipes », affirme Laurent Cochereau, directeur des achats pour Allianz France.

Certaines directions achats gagnent tellement en légitimité qu'elles contribuent parfois à diffuser la culture d'entreprise. Par exemple, quand en 2008 les groupes La Mondiale et AG2R se sont rapprochés, ce dernier avait déjà une direction des achats. Mais un comité de pilotage a été créé pour capitaliser sur cette expérience et développer une politique commune sur la totalité des dépenses, hors salaires. Ce comité de pilotage est aujourd'hui composé de trois des quatre directeurs généraux délégués du groupe : celui en charge des domaines finance, stratégie et prospective, celui en charge des opérations et de la retraite complémentaire, et celui en charge notamment du secrétariat général, de la communication et de l'immobilier d'exploitation. Dans un premier temps, le groupe a notamment travaillé sur les prestations intellectuelles, les déplacements et l'achat de fournitures, ainsi que sur la mise à plat de bonnes pratiques, pour identifier les différents fournisseurs, définir des règles d'achat et établir des objectifs chiffrés. « C'est un bon moyen pour contribuer à la création d'un groupe et d'une culture commune », se réjouit Pascal Folliot.

Ensuite, les décisions sont validées par le comité exécutif du groupe avant d'être mises en œuvre par des cellules de travail pilotées par la direction des achats et qui intègrent, selon les cas, la direction des affaires financières, la direction des ressources humaines, celle des risques ou de la direction juridique. Participent également à la définition et à l'examen des appels d'offres, des salariés opérationnels comme des assistantes de direction pour le chantier concernant les voyages d'affaires. Dans certains cas, les appels d'offres peuvent être régionaux, comme ce fut le cas pour la propreté. Les décisions sont alors déclinées par la suite dans les 180 sites du groupe. « Nous travaillons conjointement avec les directions métiers, nous sommes un peu le poil à gratter pour redéfinir les besoins, apporter une connaissance des marchés, sourcer les fournisseurs et faire l'analyse globale de leur offre », résume Pascal Folliot.

Rationalisation et bonnes pratiques

Chez Covéa, comme dans la majorité des grands groupes, les fonctions achats sont gérées en interne, hormis pour des conseils très techniques. Par conséquent, la direction des achats n'intervient pas sur les activités qui touchent le compte d'exploitation, dont la gestion revient aux trois "pôles performance" dédiés aux sinistres automobiles, Iard et dommages corporels, champ d'activité des 4 500 salariés dédiés à la gestion des sinistres du groupe. Ces pôles définissent les politiques communes d'achat des prestations, pilotent et gèrent les moyens communs, managent les réseaux communs, et sont en charge de la promotion de l'innovation. Une politique qui permet, par exemple, d'harmoniser les règles de missionnement des experts pour les sinistres automobiles dans l'ensemble des entités du groupe. « Cette harmonisation donne le sentiment aux fournisseurs d'avoir à faire à la même société qui a triplé ses volumes », relève Michel Gougnard, en précisant que l'augmentation des volumes, corrélée à un pilotage des prestataires appuyé sur la taille, permet de baisser les coûts. Ainsi, le réseau d'avocats du groupe est passé de 750 (total des réseaux des trois enseignes) à 560 pour leur réseau commun, après une sélection à partir de grilles d'évaluation visant à apprécier à la fois la qualité de l'accueil, leur disponibilité, leur respect des instructions...

Chez Groupama, la direction des achats groupe a été créée en 2008 avec un plan pluriannuel arrivé à échéance en 2012. Dans ce cadre, des actions précises ont été mises en œuvre par des groupes de travail organisés par familles d'achats. Et alors que l'assureur vert s'est lancé dans un vaste plan destiné à économiser 400 M€, le service achats, soutenu par la direction générale de Groupama SA et les directions générales, apporte aujourd'hui ses compétences en expertise aux directions des centres de profit et des caisses régionales. « Nous nous appuyons sur l'existant, nous partons des stratégies locales d'achats pour voir s'il est possible de faire émerger une stratégie de groupe, indique Emmanuel Teissier, directeur des achats. Nous travaillons aussi avec le service de responsabilité sociale et environnementale, et le service juridique, pour s'assurer que nos contrats sont conformes et pour mettre en place des indicateurs. »

Enfin, le travail conjoint entre les directions des achats et les différentes entités opérationnelles permet également de favoriser les échanges de bonnes pratiques, entre services et filiales d'un même groupe. Ces directions travaillent avec l'ensemble des entités et permettent à la fois de développer une vision transversale et de recueillir et disséminer les bonnes pratiques. Il va s'agir, par exemple, de faire profiter une autre équipe d'une clause d'un contrat signé par un service.

L'époque où les services achats avaient avant tout l'image intrusive de tueurs de coûts est bien révolue. Pour la majorité des directions opérationnelles et des entités régionales, les responsables achats sont désormais perçus comme des partenaires indispensables au développement de l'activité au... juste prix !

" C'est seulement si nous ne trouvons pas les ressources au sein de notre groupe que nous nous tournons vers des profils spécialisés. "

Pascal Folliot

AG2R La Mondiale

" L'harmonisation entre les enseignes - Maaf, MMA et GMF - donne le sentiment aux fournisseurs d'avoir à faire à la même société qui a triplé ses volumes. "

Michel Gougnard

Covéa AIS

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