Alors que l'économie espagnole s'enfonce dans la récession, le marché de l'assurance s'en sort sans trop de dommage. La prévoyance connaît même une seconde jeunesse du fait du besoin de protection lié à la crise, et l'assurance vie se stabilise. Une situation qui préfigure celle de la France ?
« Jusqu'à présent, on disait que l'assurance ét-ait une activité anticyclique. On s'aperçoit aujourd'hui que ce n'est pas le cas. Nous souffrons moins que d'autres, mais nous souffrons », confie Juan Manuel Castro, directeur distribution et ventes d'Axa en Espagne. Et Francisco Lara, sous-directeur général de Pelayo, d'ajouter : « L'assurance est une activité moins cyclique que d'autres. Nous traversons la crise plutôt bien et, grâce à l'inversion du cycle de production, nous n'avons pas de problèmes de trésorerie, ce qui est essentiel en ces périodes de raréfaction des liquidités. » Ces deux points de vue résument assez bien l'ambiance générale du marché espagnol. Et les chiffres le montrent, il n'y a pas de drame. Au cours des trois dernières années, l'assurance non-vie a très légèrement progressé et l'assurance vie se porte plutôt bien. Ce constat global masque évidemment des différences importantes, certaines activités étant plus touchées que d'autres.
Le dommages à la peine...
Ainsi, l'automobile, qui représente 36% de l'assurance non-vie, a souffert. D'un côté, le nombre des véhicules immatriculés a stagné. De l'autre, les clients ont réduit leur volant de garanties, un certain nombre d'assurés passant d'une "tous risques" au tiers. Résultat : les fraudes à l'assurance ont augmenté, certains automobilistes prenant soin, par exemple, de faire repeindre leur voiture aux frais de l'assureur avant de réduire leurs garanties. Mais la crise n'a pas été que défavorable aux assureurs. Ainsi, les statistiques de vente de carburant montrent une diminution de la consommation de 7% en 2010 ; moins de circulation égale moins d'accidents, c'est mathématique !
En MRH, la croissance du chiffre d'affaires est au rendez-vous, tant en 2009 qu'en 2010. Les primes ont augmenté, sous l'impact d'une hausse des sinistres, qu'il s'agisse des vols eux-mêmes, conséquence de la crise, ou des petites réclamations d'assurés qui, si la situation économique avait été moins difficile, n'auraient pas réclamé. Néanmoins, cette bonne santé de la branche ne se vérifie pas partout. Ainsi les banques, qui vendent de la multirisque habitation quand elles financent un logement, ont vu leur production chuter. Une banque moyenne qui réalisait, au moment du boom immobilier, 600 affaires nouvelles par mois n'en réalise plus que 250 aujourd'hui.
Ce sont d'ailleurs les secteurs liés à la construction et au transport qui ont le plus souffert. Le chiffre d'affaires de la décennale est en recul de 27% en 2010, la tous risques chantiers est en repli de 16% et la branche transport, dans son ensemble, de 12%. Il n'y a là aucune surprise. Avant la crise, l'Espagne construisait plus de logements que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Ce boom s'est brutalement arrêté et "la economia del ladrillo" (l'économie de la brique) appartient au passé. Les risques d'entreprise, qui ne sont pas directement liés au bâtiment, ne se portent pas mal. L'incendie a légèrement progressé en 2009 et a crû de 6% en 2010, quand d'autres branches, comme le bris de machines, ont chuté. D'après les professionnels, les tarifs incendie, qui ont perdu 30% en trois ans, ne laissent guère de place à de nouvelles baisses, et ce, d'autant que les réassureurs sont présents pour rappeler les règles de bon sens.
... La vie à la fête
En Espagne, l'assurance santé privée se superpose à la Sécurité sociale, obligatoire et financée par l'impôt. Compte tenu de cette superposition au système public ouvert gratuitement à tous, les professionnels s'attendaient à une chute de cette branche, mais ce ne fut pas le cas. L'explication qui est avancée par les professionnels est en ligne avec ce que l'on dit à propos de l'assurance vie. La dureté de la crise économique - l'Espagne compte près de cinq millions de chômeurs, soit 20% de la population active - fait que ceux qui ont la chance de travailler, et qui donc ont des revenus, les consacrent davantage à la protection de la famille.
C'est ce que disent les assureurs vie pour justifier la bonne tenue du marché. Il y a certes eu une baisse de la production en 2010, mais les premiers mois de 2011 montrent des signes de reprise. Tous les spécialistes s'accordent à penser que la stabilité de l'assurance vie est, en ces périodes troublées, un facteur déterminant. « Les Espagnols ont compris que l'immobilier n'était pas la seule option d'épargne à considérer et ils veulent désormais diversifier leurs placements. Les conditions de marché nous permettent actuellement d'offrir des taux attractifs. L'offre que nous venons de lancer, qui garantit un rendement tout à fait satisfaisant sur six ans, a généré une augmentation de notre collecte vie de 30% par rapport à 2010 », se réjouit Olivier Larcher, directeur général de Groupama Espagne. Autre facteur intéressant, le retour de la prévoyance comme si, en ces périodes difficiles, protéger sa famille contre les conséquences d'un décès était devenu plus essentiel. Alors que l'assurance décès individuelle n'est vraiment pas un produit qui, outre Pyrénées, motive beaucoup l'assuré, Axa a lancé une campagne avec ses 1 000 meilleurs agents et réalise depuis plusieurs mois 1 000 affaires nouvelles par semaine, ce qui ne s'était jamais vu de mémoire d'assureur espagnol. « La crise fait que les assureurs qui sont revenus ou qui se sont recentrés sur leur métier d'origine, la protection et la prévoyance, ont retrouvé la faveur des clients », analyse Juan Manuel Castro d'Axa. Dernier facteur qui explique la relative bonne tenue de l'assurance vie, l'image des banques. On reviendra sur le rôle ambigu de celles-ci, mais il semble bien que de nombreux Espagnols n'imaginent pas que ces très grandes institutions qui contrôlent 70% de la collecte vie puissent connaître de vraies difficultés. Pour l'épargnant de base, et en dépit de ce que l'on peut lire dans la presse, le too big to fail reste l'opinion dominante.
Vers une organisation régionale
Dans ce contexte économique récessif, les entreprises d'assurance se sont organisées. Certaines ont entrepris plus vite, ou plus drastiquement que prévu, des opérations de réorganisation interne. Le système traditionnel des bureaux installés dans les provinces, destinés à apporter un soutien de proximité à des agents le plus souvent non professionnels, est remis en cause. De provinciaux, ils deviennent régionaux avec ce que cela implique de diminution de frais généraux. Un autre point sur lequel la crise a finalement aidé les entreprises est celui de l'encaissement des quittances. En Espagne, les sociétés n'ont pas l'habitude d'user de moyens légaux coercitifs pour obliger le client à payer sa prime d'assurance dommages. S'il ne paie pas, on résilie le contrat et les choses s'arrêtent là. Quand les difficultés économiques ont commencé, le volume de quittances impayées est devenu inquiétant et les entreprises ont réagi. Elles ont mis en place des plateformes téléphoniques pour relancer les clients, développé la mensualisation et favorisé le paiement par cartes. « Aujourd'hui, nous n'avons pas de problèmes d'encaissement de primes. La crise nous a incités à résilier les clients mauvais payeurs qui, dans de nombreux cas, étaient aussi ceux qui nous donnaient les plus mauvais résultats techniques », indique Olivier Larcher de Groupama.
La montée du direct
La distribution aussi a été affectée par la difficulté des temps. Le low cost, téléphone ou internet, plus développé en Espagne qu'en France, continue à progresser. A côté de Linea Directa, héritière et non plus filiale de Direct Line, ou de Balumba du groupe Admiral, tous les grands opérateurs sont multicanal : Axa avec Direct Seguros, Allianz avec Fenix Directo, Zurich avec Zurich Direct, Groupama avec ClickSeguros et depuis peu Mapfre, le leader du marché qui, en décembre 2010, a lancé Verti avec un budget de 40 M€. Une récente étude montre que "seguros" est le mot le plus recherché sur Google Espagne, et certains prévoient qu'internet pourrait représenter 15% du marché auto espagnol dans une dizaine d'années. Cette montée du direct, qui s'effectue sur un marché où la très grande majorité des intermédiaires ne vivent pas de l'assurance, n'affecte pas les agents ou les courtiers qui, au contraire, sont professionnels. « Les intermédiaires qui ont compris que le client attend une compétence et un service, qui savent que le multiéquipement est la condition de la fidélisation, s'en sortent bien. Nous avons augmenté à la fois le nombre de nos clients et le volume de primes entre 2006 et 2010 » précise Juan Manuel Castro d'Axa. Il semble que ces temps plus durs aient incité certaines sociétés à mettre en place des politiques d'encadrement et de soutien d'un nombre relativement réduit d'intermédiaires professionnels, un peu selon le modèle traditionnel de l'agent général français. Tout porte à croire que l'une des conséquences à long terme de la situation actuelle sera une professionnalisation de la distribution.
Les caisses d'épargne dans la tourmente
Quant aux banques, acteurs importants du marché espagnol, 70% en vie et 9% en non-vie, elles sont affectées par la crise au premier chef dans leur cœur de métier. Les stress tests de l'été ne se sont pas toujours très bien passés et les caisses d'épargne, notamment, sont dans la tourmente. En 2008, il semble avéré que des caisses d'épargne, et peut-être aussi des banques, ont incité leurs clients à racheter leurs contrats d'assurance vie pour placer cet argent devenu disponible sur des produits bancaires, bien utiles en ces périodes de pénurie de liquidités. De l'avis des personnes rencontrées, ce mouvement, où l'intérêt du client était relégué au second plan, n'a pas pris une grande ampleur. Par contre, il est clair que les banques ou les caisses d'épargne ne font pas d'effort pour promouvoir les produits d'assurance vie. « Pour les banques, il est plus facile d'augmenter le taux des livrets que de recourir au marché interbancaire » explique Francisco Lara de Pelayo. Et Olivier Larcher d'ajouter : « Leurs employés ont aujourd'hui d'autres préoccupations que d'essayer de vendre de l'Iard. » Cependant, et c'est l'avis de la présidente de l'Unespa (lire ci-contre), ce moindre activisme des banques n'est que temporaire. Pour elles, le premier objectif aujourd'hui est de se restructurer et de renégocier leurs accords de distribution avec les assureurs. Quand on sait que les 45 caisses d'épargne, qui chacune avait des accords de distribution avec souvent plusieurs assureurs pour vendre plusieurs gammes de produits, seront 15 dans quelques mois, on devine que les cartes sont à rebattre, tant du côté des caisses que des assureurs. Une fois le paysage bancaire restructuré, les banques auront besoin de vendre des produits qui leur rapportent des commissions et l'assurance retrouvera ses vertus, surtout au sortir de cette période de vaches maigres sur le plan du crédit immobilier.
L'assurance espagnole, à l'instar de ses consœurs européennes, traverse donc la crise sans trop de dommages. La rationalisation de certaines organisations commerciales comme la professionnalisation de la distribution étaient en route, et les difficultés du moment ont simplement conduit à accélérer des processus déjà initiés. Plus important, quand on connaît l'âpreté de la concurrence sur ce marché, les professionnels constatent que la guerre des prix n'a pas eu lieu. Les grands acteurs se battent, et c'est sain, mais aucun ne s'est lancé dans un dumping qui serait suicidaire par l'effet d'entraînement qu'il pourrait engendrer.
Evolution des primes sur les marchés espagnol et français
En Espagne, les professionnels s'attendaient à une chute de la branche santé, mais ce ne fut pas le cas. Une des explications avancées serait que les Espagnols consacrent davantage de leurs revenus à la protection de la famille. En vie, après une baisse de la production en 2010, les premiers mois de 2011 montrent également des signes de reprise. Une situation que l'on pourrait voir bientôt en France ?
Pour Axa, entre 2006 et 2010, le nombre de clients comme le volume de primes a augmenté en Espagne. En assurance décès individuelle, par exemple, Axa a lancé une campagne et réalise depuis plusieurs mois 1 000 affaires nouvelles par semaine.