La survie des espèces

Publié le 2 janvier 2013 à 6h00    Mis à jour le 22 octobre 2015 à 12h40

Anne Vathaire

Les sociétés de gestion se réorganisent et proposent de nouveaux supports d'investissement en tenant compte du contexte économique délétère.

Le marché de la gestion d'actifs en France est hétérogène et représenté par des acteurs de taille et de culture très différentes. Les sociétés de gestion peuvent être distinguées selon trois grands ensembles : un premier groupe, constitué de sociétés appartenant à de grands établissements bancaires (Amundi, Natixis AM...) ; un deuxième représenté par les filiales de gestion des assureurs (Axa IM, Aviva Investors...) ; et un troisième groupe composé de sociétés de gestion indépendantes, majoritairement anglo-saxonnes.

Selon les chiffres de l'Association française de la gestion financière (AFG), le marché français compte environ 600 sociétés de gestion, un nombre qui a doublé en dix ans, alors que le montant des actifs gérés en France par ces sociétés était, fin 2011, en baisse de 4 % à 2 600 Md€.

Les sociétés détenues par des assureurs ou des mutuelles comptent pour 7 % du nombre total de sociétés, mais se situent à la deuxième place en termes de parts de marché, avec 29 % des actifs gérés selon l'AMF (Autorité des marchés financiers). La gestion collective d'OPCVM représente la majorité des encours, tandis que la gestion sous mandat, majoritairement exercée par les filiales d'assurance pour le compte de leur maison mère, est en légère baisse en raison du ralentissement de l'assurance vie.

Les sociétés filiales d'assureurs ou de banques ont pour mission première de rentabiliser les avoirs détenus par leur maison mère. Et si certaines structures se consacrent entièrement à cette mission, les plus importantes d'entre elles ont une double activité : elles exercent en parallèle la gestion pour compte de tiers, au titre de laquelle, par délégation d'un investisseur privé ou institutionnel, elles assurent la gestion financière de leurs capitaux ou épargne. C'est d'ailleurs cette gestion pour compte de tiers qui intéresse les sociétés indépendantes.

Rationaliser ou fusionner

Quel que soit le modèle, les organisations et les stratégies ont évolué ces dernières années du fait de la crise qui a arrêté net la croissance des encours (lire l'interview de Pascal Koenig, page suivante). Afin de mieux s'adapter au contexte actuel, certaines sociétés cherchent des adossements lorsque d'autres rationalisent leur structure en procédant à des fusions.

C'est le cas de Macif gestion qui, en devenant filiale d'OFI AM en 2010 (à 66 %), lui apporte ses encours à gérer sur la partie gestion des mandats du groupe (Macif, Macif mutualité, Mutavie) et sur la partie gestion collective en OPCVM. «Mais, nous restons soucieux de la bonne gestion de nos actifs. Pour gérer les OPCVM de Macif gestion, nous avons transféré nos quatre gérants dédiés chez OFI AM», signale Hugues Fournier, directeur de Macif gestion. Il précise qu'à fin octobre 2012, la partie mandats représentait 23,2 Md€ d'encours et la partie OPCVM 3,4 Md€. Macif gestion est essentiellement un gestionnaire d'assurance avec une équipe qui en connaît les spécificités. Ces gérants participent aux comités actif/passif chez l'assureur, où est décidée l'allocation stratégique en fonction du passif de l'assureur. «Ensuite, ils mettent en place l'allocation tactique de chaque poche prévue, actions, obligations ou monétaires, validée par la direction de l'assureur», poursuit Hugues Fournier.

De son côté, la société de gestion Egamo, filiale de la MGEN créée en 2008, s'est rapprochée l'an dernier d'OFI partenaires, avec un échange de participation. «OFI partenaires est entré à notre capital, signifiant ainsi que nous partageons les mêmes valeurs et la même culture dans le but de servir les investisseurs institutionnels», relate Nicolas Demont, directeur général d'Egamo. La société gère les actifs de la MGEN qui s'élèvent à 2,3 Md€, ainsi qu'un petit portefeuille externe de mandats (0,3 Md€), dont le cœur de cible est composé de mutuelles et de caisses de retraite (MGEN vie, MGET...).

Si le cœur de métier d'Egamo est la gestion obligataire, les équipes déploient aussi une politique de diversification via la multigestion pour assembler divers supports (actions euros, actions internationales, matières premières, obligations à haut rendement...). «Notre spécificité est d'apporter un service complet, allant du conseil au reporting. Notre gestion est essentiellement obligataire à plus de 80 %, la multigestion permettant de diversifier le risque sur des montants plus faibles», souligne Nicolas Demont.

Mutualiser les équipes

Chez AG2R La Mondiale, à la suite du regroupement des deux entités, la gestion d'actifs centrée quasi exclusivement sur les actifs du groupe est répartie entre la direction des investissements, qui gère 42 Md€, et deux sociétés : LMGA (issue de La Mondiale), qui gère 5 Md€ sur les actions et la multigestion, et Agicam (issue de AG2R), qui gère l'épargne salariale et l'ISR (investissement socialement responsable) pour 10 Md€. «La seule activité de gestion pour compte de tiers du groupe est exercée par Agicam, sur l'ISR, dont elle a fait sa spécialité avec une petite équipe pour répondre aux appels d'offres. C'est une stratégie de niche», indique Jean-Louis Charles, directeur des investissements d'AG2R La Mondiale.

Mais, aujourd'hui, le groupe a décidé de réorganiser sa gestion d'actifs et de fusionner en 2013 ses deux sociétés de gestion, principalement pour des questions de simplicité, de rationalisation et de coût, notamment en mutualisant les équipes de front, middle et back office, entre la société de gestion et la direction des investissements d'AG2R La Mondiale.

Chez les petites comme chez les grande structures, la gestion interne représente l'essentiel des encours. Mais à l'heure où les actifs des assureurs sont en baisse, les sociétés de gestion se tournent de plus en plus vers la clientèle externe des investisseurs institutionnels et des distributeurs dont les CGPI.

De nouvelles clientèles

A La Banque postale AM, la gestion pour le compte de grands investisseurs est très importante et représente 118 Md€ sur 135 Md€ gérés au global. Ce montant d'encours place la société au cinquième rang en France. Sa clientèle est composée à 88 % d'institutionnels et les 12 % restants concernent la clientèle retail. «Nous avons mis en place un pôle solutions et mobilisons une équipe de 18 personnes afin de trouver des réponses sur mesure pour les institutionnels, soit à partir de compétences internes, soit à partir de produits d'autres sociétés de gestion. Nous pouvons ainsi restituer à nos clientèles une vision agrégée de leurs risques», précise Vincent Cornet, directeur de la gestion.

La gestion pour compte de tiers tient également une place majeure chez Allianz Global Investors (GI), filiale de l'assureur allemand Allianz SE. Ses encours sous gestion ont atteint 302 Md€ à fin septembre 2012. La France constitue un pôle de gestion significatif du groupe, avec 79 Md€ d'encours gérés à fin octobre, dont près de 19 Md€ pour compte de tiers (investisseurs institutionnels, entreprises et réseaux de distribution). «A Paris, dans notre activité de gestion, nous nous concentrons sur les marchés européens et couvrons les grandes classes d'actifs (actions, obligations, crédit, gestion diversifiée, monétaire...), explique Amine Benghabrit, directeur commercial Allianz GI France. Dans notre activité de distribution, nous mettons à disposition de nos clients français les expertises de nos différents centres de gestion dans le monde (dix centres répartis entre l'Europe, les Etats-Unis et l'Asie). Nous leur offrons un service local avec un commercial dédié et des fonds de droit français.»

Aviva Investors est également filiale d'un groupe d'assurance étranger, Aviva PLC, et réunit toutes les entités de gestion d'actifs détenues par le groupe. La gestion mondiale représente 314 Md€, dont 86 Md€ d'encours pour la France, qui est ainsi le deuxième site de gestion en Europe par ses encours, après Londres. «L'aversion pour le risque et la diminution des encours des institutionnels, avec la chute de l'assurance vie, ont ralenti notre progression, mais elle reste cependant significative en 2012», indique Jean-François Boulier, directeur général Aviva Investors Europe. Paris est également un centre de commercialisation des gestions faites à Londres sur les obligations émergentes, à Chicago sur les obligations de haut rendement, et à Boston sur les obligations convertibles. Depuis 2008, Aviva Investors France s'est lancé dans la gestion pour compte de tiers et détient aujourd'hui 5 Md€ d'encours auprès d'assureurs et de caisses de retraite. Quinze personnes sont chargées du développement commercial sur cette clientèle externe. «Nous sommes en progression sur ce segment grâce à notre style en tant que gérant de long terme et à nos expertises qui favorisent l'innovation», poursuit Jean-François Boulier.

Quant à Axa IM, son organisation est différente de par sa taille, car il s'agit d'une société de gestion française qui a une présence mondiale, tant en gestion d'actifs qu'en force de vente aussi bien en Europe, qu'aux Etats-Unis et en Asie. Axa IM gère 548 Md€ au plan mondial avec 2 400 collaborateurs dont 1 200 basés à Paris. Sur ce montant d'encours, les deux tiers sont gérés pour le compte des compagnies du groupe Axa et un tiers pour la clientèle externe : assureurs, fonds de pension, caisses de retraite françaises et étrangères, family office, fondations, auxquels s'ajoute la distribution d'OPCVM aux banques privées, banques en ligne, plates-formes de CGPI... «Nous nous appuyons sur le savoir-faire de nos différents centres de gestion et nous gérons à proximité du marché où se trouve la classe d'actifs. Ces actifs sont ensuite commercialisés par nos forces de vente localisées à proximité de nos clients», explique Joseph Pinto, Global Head of Market & Investment Strategy.

De nouveaux marchés

Non seulement la crise touche les sociétés de gestion, mais elles sont confrontées à la pression d'une concurrence de plus en plus vive et au poids des réglementations (lire p. 31). Elles sont donc contraintes d'évoluer, avec des objectifs de compétitivité accrus. Quelles que soient leur taille, leur organisation, leurs spécificités, elles doivent trouver de nouveaux créneaux de développement. Les filiales de sociétés d'assurance sont réputées pour la gestion obligataire, qui représente toujours une part prépondérante dans leurs actifs sous gestion, comme le souligne Amine Benghabrit : «En raison de notre culture et de notre historique assurantielles, l'obligataire tient une place importante dans notre gestion. Ainsi en France, sur un total de 79 Md€ d'encours à fin octobre, 79 % sont gérés en obligations, 7 % en actions, et plus de 10 % en gestion diversifiée.»

Mais, aujourd'hui, avec l'effondrement des rendements des obligations d'Etat et la question du défaut qui se pose pour certains pays d'Europe, les sociétés de gestion sont à la recherche d'autres classes d'actifs, d'autres zones géographiques et de nouveaux types de gestion. De plus, la contraction des bilans bancaires leur crée des opportunités et elles ont déjà commencé leur virage vers la gestion diversifiée en investissant sur les matières premières, les pays émergents, les infrastructures, les prêts bancaires, les obligations corporate et high yield (spéculative, à haut rendement). «Avec des niveaux de taux d'intérêt très bas, nous continuons notre activité de crédit, mais nous réorientons les portefeuilles vers le crédit d'entreprise. Actuellement, nous avons une proportion de deux tiers en obligations corporate et un tiers en obligations d'Etat», détaille Jean-François Boulier, qui indique par ailleurs être actif sur les prêts bancaires et sur les pays émergents, avec le lancement d'un fonds composé d'actions et d'obligations émergentes.

Toutes les sociétés ont depuis quelques années investi dans les obligations corporate, les entreprises étant obligées de se financer sur le marché. «Notre portefeuille a changé de visage. De façon schématique, avant la crise de la dette, les obligations d'Etat représentaient entre 80 % et 100 % du portefeuille. Aujourd'hui, il est équilibré entre les obligations d'Etat recentrées sur la France et les pays périphériques à la zone euro et les obligations d'entreprises privées», confirme Nicolas Demont.

Parmi les corporate, les obligations à haut rendement ou high yield apparaissent aujourd'hui très fréquemment dans les portefeuilles. En raison des bonnes perspectives de rendement qu'offrent ces actifs (entre 7 % et 9 %), de nombreux investisseurs se sont portés sur ce secteur. «Axa IM a développé plusieurs produits de gestion ces dernières années, afin de répondre au mieux aux attentes des clients, et ce, sur toutes les classes d'actifs (actions, obligations, gestions alternatives), indique Joseph Pinto. A titre d'exemple, Axa IM a développé un véritable pôle de compétence dans la gestion high yield US, et gère aujourd'hui près de 26 Md$ pour des investisseurs situés en Europe, en Asie, en Orient. Fort de ce succès, nous avons récemment déployé notre expertise high yield sur d'autres marchés, tels que le high yield européen, le high yield UK, le high emergent et le global high yield.»

Chez Allianz GI, 17 personnes en Europe travaillent sur les obligations corporate, notamment sur le segment du high yield. «Notre fonds Allianz Euro high yield, qui ressort en tête de classement, est bien connu des investisseurs de par son historique et la régularité de ses performances. Les ressources dédiées à cette expertise ont été considérablement renforcées depuis deux ans», note Amine Benghabrit.

Créer une vraie force commerciale

Enfin, il est une classe d'actifs qui est actuellement prisée à titre de diversification dans les portefeuilles, il s'agit des fonds de dette infrastructure (lire page précédente). Aviva Investors mûrit un projet sur la dette d'infrastructure européenne avec la création d'un fonds luxembourgeois, pour Aviva et la clientèle externe. «Il s'agit d'un vrai créneau d'utilité pour nos clients, car cette classe d'actifs réels offre un bon rendement et un faible risque de défaut», affirme Jean-François Boulier. La Banque postale AM se dirige également vers de nouvelles classes d'actifs comme la gestion de fonds de dette. «Nous lançons actuellement un fonds de dette composé de deux compartiments distincts d'actifs européens : l'un sur la dette immobilière, l'autre sur la dette infrastructure. Nous avons recruté trois spécialistes dans ces deux domaines pour créer ce fonds. Ce sujet est traité en partenariat avec les banques qui ont commencé à se retirer des financements en immobilier et en infrastructure sous l'impact de l'évolution de la réglementation. N'étant pas adossés à une BFI [banque de financement et d'investissement], nous avons l'avantage d'offrir à nos clients un alignement d'intérêts parfait», estime Vincent Cornet.

Chez Allianz GI, une équipe de cinq personnes (une à Paris et quatre à Londres) investit dans cette classe d'actifs. «La dette d'infrastructure est un produit adapté dans le contexte actuel de taux bas, aux investisseurs institutionnels qui ont des passifs longs», souligne Amine Benghabrit.

Mais les sociétés qui réussissent sur ces nouveaux marchés sont celles qui ont des moyens techniques et financiers, ont investi dans le marketing et ont créé une vraie force commerciale. Par ailleurs, réussiront également celles qui sauront tirer les leçons de la crise : une demande de transparence accrue des produits, de proximité des gérants pour comprendre le client, de communication et de reportings clairs afin de relever les défis imposés, entre autres, par les réglementations.

"Dans notre activité de distribution, nous mettons à disposition de nos clients français les expertises de nos dix centres de gestion dans le monde. Nous leur offrons un service local avec un commercial dédié et des fonds de droit français."

Amine Benghabrit

Allianz GI France

"La seule activité de gestion pour compte de tiers du groupe est exercée par Agicam, sur l'ISR, dont elle a fait sa spécialité avec une petite équipe pour répondre aux appels d'offres. C'est une stratégie de niche."

Jean-Louis Charles

AG2R La Mondiale

"Nous lançons un fonds de dette composé de deux compartiments distincts d'actifs européens : l'un sur la dette immobilière, l'autre sur la dette infrastructure. N'étant pas adossés à une BFI, nous avons l'avantage d'offrir à nos clients un alignement d'intérêts parfait."

Vincent Cornet

La Banque postale AM

"Axa IM a développé un véritable pôle de compétence dans la gestion high yield US, et gère aujourd'hui près de 26 Md$ pour des investisseurs situés en Europe, en Asie, en Orient."

Joseph Pinto

Axa IM

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