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Entre décollecte et taux de rendement en baisse, les assureurs vie doivent réinventer des produits plus en phase avec les besoins d’épargne longue.
Le marché de l’assurance vie est quelque peu chahuté. Quel regard portez-vous sur cette situation ?
La FFSA explique cette décollecte par des raisons principalement conjoncturelles. En tant que technicien de l’assurance, je pense plutôt à un caractère structurel. Les aspects démographiques ne peuvent être ignorés. Ainsi, lorsqu’un assuré est à la retraite, il verse moins et rachète plus. De plus, la baisse des rendements obligataires depuis maintenant plus de 10 ans nous conforte dans une situation de taux bas plus structurelle que conjoncturelle. Si l’on y ajoute les problématiques prudentielles bancaires en termes de solvabilité et l’inévitable drainage de l’épargne court terme vers des produits bancaires, nous démontrons aisément que l’assurance vie pratiquée depuis 30 ans n’est plus en mesure de rebondir en termes de collecte pour les assureurs.
L’assurance vie subit-elle une concurrence des livrets bancaires ?
Il faut rappeler que les principaux collecteurs d’épargne en France sont les bancassureurs. Dès lors qu’un produit bancaire comme le livret A devient aussi intéressant, ou presque, qu’un produit d’assurance, ce n’est pas forcément un mauvais conseil que d’orienter l’épargne des clients vers ce type de produit. C’est ce qui s’est passé en 2011. La collecte sur le livret A s’est élevée à 17 Md€. Il y a une redistribution évidente de l’assurance vie vers l’épargne bancaire. Il y a donc une réelle concurrence entre banquiers et assureurs, d’autant plus dans les perspectives Bâle 3 liées à la solvabilité des établissements bancaires.
Les contrats en euros peuvent-ils encore être attractifs ?
Oui, ils le sont, mais il faut se demander pour quel besoin exactement. En effet, pour une retraite complémentaire à horizon 15 – 20 ans, le contrat en euros offre trop de garanties de court terme et pas assez de long terme. L’intérêt de l’épargne longue est d’avoir du rendement associé à une garantie adaptée au terme, en revenus ou en capital. Donc, dans une perspective de placement long, le contrat en euros a peu d’intérêt. Mais dans une perspective de court ou moyen terme permettant d’avoir un peu de rendement, une sécurité sur son placement et un risque de défaut limité, le contrat en euros reste une bonne opportunité, même par rapport au livret A. La limite du contrat en euros doit être analysée en fonction du besoin réel.
Quelles sont les solutions alternatives face à la baisse des taux de rendements des fonds en euros ?
Il faut faire correspondre des garanties long terme à des perspectives long terme comme la retraite. Il existe dans cette perspective des contrats qui sont mieux taillés que le contrat en euros : les Perp, des contrats euro diversifié, ou des variables annuités, avec, pour chacun, ses spécificités, ses avantages et ses inconvénients.
Le récent rapport de la Cour de comptes préconise de favoriser les rentes. Partagez-vous cette analyse ?
La rente viagère est, a priori, une solution intelligente dans un contexte de retraite complémentaire. En France, c’est un produit très peu souscrit parce qu’il comporte deux freins significatifs : l’aliénation du capital et une fiscalité lourde. Pour les contourner, il existe des solutions comme la rente universelle. Associée à une contre-assurance décès, elle permet de ne pas aliéner entièrement le capital. Le taux de rente sera moins élevé, mais l’ensemble restera cohérent. La rente est en effet le meilleur outil de restitution d’épargne. Elle offre une garantie forte de revenu minimum, potentiellement revalorisable.
Faut-il favoriser l’épargne longue ?
L’idée de favoriser l’épargne longue avec une fiscalité adaptée va dans le bon sens. C’est également dans la lignée des problèmes actuels de la France, et de l’Europe en général, qui vise à maintenir une épargne durable grâce à l’outil fiscal, tout en stabilisant a minima les revenus fiscaux. L’épargne française est considérable : 1 300 Md€, et proche du montant de la dette du pays (1 700 Md€). Dans le prolongement du rapport de la Cour des comptes, on pourrait imaginer que les assureurs placent cette épargne sur des produits de type emprunt national et dette d’Etat de manière à moins dépendre des marchés financiers. Le rapport le souligne d’ailleurs à plusieurs reprises, cette épargne ne bénéficie pas assez aux PME et à l’économie française. Autrement dit, nous pourrions très bien subvenir nous-mêmes à une partie de notre problématique de dette souveraine. Parce que plus on perd en notation et en confiance auprès des marchés, plus les taux que nous payons sont élevés : au final ces taux obligataires pourraient bénéficier aux Français qui épargnent plutôt qu’aux marchés financiers uniquement. Tous les signes que je perçois depuis quelque temps vont dans ce sens.
Les assureurs sont-ils selon vous assez innovants ?
Chacun a sa part de responsabilité. La politique fiscale dépend des pouvoirs publics, mais ne doit pas empêcher les assureurs d’être créatifs et force de proposition dans la mise en place de produits et de garanties en phase avec les attentes et les besoins du marché. Les assureurs peuvent évoluer sans accompagnement des pouvoirs publics. Cela a été le cas pour les variables annuités. Pourtant trois assureurs en France (ndlr : Axa, Allianz et AG2R) ont fait l’effort d’innover en prenant sur eux la gestion du risque de ces produits. Les pouvoirs publics, eux, ont parfois été plus créatifs, notamment avec la mise en place du Perp, et surtout des excellents contrats euro diversifié.