Jérôme Baloge, maire de Niort et président du conseil d’administration de Smacl assurances, et Jean-Luc de Boissieu, président de Smacl assurances SA, reviennent sur l’assurabilité des collectivités, sur les difficultés techniques de Smacl assurances SA et sur les mesures prises pour équilibrer ses comptes. Au-delà, ils évoquent leurs pistes pour élargir le marché d’assurance et mieux garantir les collectivités. Retrouvez l'intégralité de cet entretien dans le numéro de novembre de La Tribune de l'assurance.
Les collectivités territoriales restent-elles assurables ?
Jean-Luc de Boissieu : De plus en plus de collectivités territoriales sont confrontées à des problèmes d’assurance dans le sens où elles n’obtiennent pas de réponse à leurs appels au marché ou alors des réponses qui ne les satisfont pas. On est là, pour la première fois depuis bien longtemps, face à une pénurie d’offres alors que dans le même temps la demande est croissante.
Jérôme Baloge : L’assurabilité des collectivités est clairement le sujet qui monte parmi les élus locaux. On a une disparition d’une grande partie des acteurs du marché. Après être venus nombreux, souvent avec des tarifs agressifs, voilà quelques années, les assureurs se retirent les uns après les autres et laissent Smacl assurances toujours plus seule à assurer les collectivités.
En tant qu’élu local, le sujet est de plus en plus régulièrement évoqué entre nous, d’abord au sein de l’Association des maires de France (AMF) où il existe une commission dédiée, mais aussi dans d’autres organisations d’élus auxquelles je participe. Donc, c’est un vrai sujet d’inquiétude. Déjà l’an dernier, alors que le thème de l’assurabilité des collectivités émergeait à peine, nous avons réalisé une enquête auprès des maires, des élus, des directeurs généraux des services et administratif (DGS/DGA) et un acteur public sur trois estimait que les communes ne pourraient bientôt plus s’assurer compte tenu des événements climatiques.
Nous avons observé ces derniers mois qu’il n’y a pas que les phénomènes climatiques qui grèvent la capacité des collectivités territoriales à s’assurer mais aussi des phénomènes sociaux qui viennent parfois bousculer l’idée même de mutualisation des risques compte tenu de leur généralisation. C’est une préoccupation pour le développement de nos services publics et de nos équipements. De fait, l’assurance des collectivités n’est plus seulement un sujet technique mais devient politique.
La prise de conscience est-elle suffisamment partagée ?
JLDB : Plus personne maintenant ne conteste ces difficultés et deux initiatives ont été prises récemment par les pouvoirs publics. Une mission qui a été lancée en juin sur l’assurabilité au sens large. Et plus récemment le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé la création d’un groupe de travail spécifiquement sur l’assurabilité des collectivités territoriales. L’État est conscient du problème. Vu le nombre de questions écrites qui lui sont adressées, le contraire serait surprenant. Nous attendons sa réponse.
JB : Nous discutons avec l’État et un certain nombre de démarches ont déjà été initié par Smacl assurances, notamment avec les associations d’élus, pour faire remonter le sujet et évidemment pour être force de proposition.
Quelles sont les pistes que vous préconisez ?
JB : L’assurabilité n’est pas qu’un sujet immédiat de résiliation et de durcissement des conditions d’assurance, c’est d’abord se mettre en capacité d’être assurable dans le temps. C’est tout le travail d’une mutuelle comme Smacl assurances de dialoguer avec son sociétariat pour mieux appréhender le risque et promouvoir tout le travail de prévention et de gestion des risques seul à même de favoriser l’assurabilité. En parallèle de cette mission au quotidien, nous interpellons le gouvernement, notamment sur la commande publique car dans le cadre des appels d’offres, l’assureur n’est pas autorisé à conseiller la collectivité parce qu'il est appelé à être soumissionnaire. Ainsi, la règle de la commande publique freine les échanges assureur/assuré pourtant essentiels à l’assurabilité des collectivités.
JLDB : Le rôle de l’État doit également être interrogé. Jusqu’à présent, celui-ci fait confiance au marché pour assurer les collectivités, au nom de l’autonomie de gestion de celles-ci. Ce qu’on constate aujourd’hui, c’est que les solutions de marché, notamment après les émeutes, sont insuffisantes. Nous pensons chez Smacl assurances et au sein du groupe Maif qu’il faut repenser l’organisation du marché et imaginer un dispositif à trois étages, un peu sur le modèle de la réforme de l’assurance récoltes adoptée l’an dernier.
Comment fonctionnerait ce dispositif ?
JLDB : Il y aurait un premier étage porté par l’assuré collectivité, en auto-assurance. Un deuxième étage où le marché d’assurance tient son rôle, assureurs, réassureurs, soit individuellement soit en pool avec une organisation qui permet de continuer de porter les risques des collectivités.
Au-delà, si les deux premiers étages ne suffisent pas, l’État ne peut rester en dehors de ce problème de société. Les collectivités territoriales forment le prolongement de l’État dans les territoires. D’autant qu’une des principales causes du problème d’assurabilité vient du fait que les collectivités ont hérité depuis quarante ans de tous les transferts de la décentralisation. Si le partenariat entre collectivités, assureurs et auditeurs ne suffit pas, nous pensons que l’État doit se saisir du sujet pour apporter sa garantie en cas d’événements exceptionnels.
Faut-il faire évoluer la règle de la commande publique pour l’assurance ?
JLDB : Il y a une crise de l’assurance des collectivités mais elle ne concerne que les grandes collectivités obligées de passer en appel d’offres pour respecter les seuils prévus par la réglementation. Les collectivités territoriales sont obligées pour tous leurs achats de passer par des AO soumis au Code de la commande publique. Notre analyse est que cette procédure a deux inconvénients. Le premier est que la procédure enferme les collectivités et les assureurs dans un formalisme très contraint. Les élus tiennent beaucoup à ce code qui est un pilier de la gestion communale mais lorsque la collectivité territoriale établit elle-même son besoin, comme le préconise la règle, elle s’expose à un appel d’offres infructueux.
Deuxième inconvénient de l’achat public d’assurance, c’est l’assuré qui fixe son besoin et le grave dans le marbre dans un cahier des charges publié à la disposition de tous les opérateurs. Une fois qu’il est public, l’appel d’offres est quasi immuable et les assureurs sont priés de déposer leur offre. Au final, ce système est contre-productif pour les collectivités car c’est un système unilatéral où l’assureur a seulement le choix de répondre ou pas.
La capacité de Smacl assurances à continuer de faire son métier est-elle en jeu ?
JB : Je tiens à réaffirmer l’engagement de Smacl assurances SA à continuer de garantir les collectivités territoriales, et en dépit de ses difficultés, Smacl assurances SA n’a résilié aucune collectivité à la suite des émeutes de l’été dernier.
JLDB : La seule qualité du dossier ne suffira pas à rendre bon un mauvais risque. Mais au point où l’on en est, un dossier mal monté n’est même plus regardé aujourd’hui par les assureurs généralistes et ne sera plus regardé demain par Smacl assurances SA. L’essentiel de l’enjeu se trouve à la SA que je préside. Il est clair que 2023 va être une mauvaise année et nous avons l’obligation de redresser l’entreprise.
Mais Smacl assurances SA a la chance d’avoir la Maif à ses côtés qui comprend et soutient notre démarche. Nos actionnaires vont procéder à une augmentation de capital et peut-être à une émission de dette. Surtout, Smacl assurances SA a pris un certain nombre de mesures pour durcir ses conditions de souscription et d’acceptation des risques. Notre volonté est de rester assureur des collectivités. Nous ne voulons pas les laisser tomber et pour cela on doit redresser l’entreprise à travers un ensemble de mesures vigoureuses qui s’applique tout de suite dans les appels d'offres que nous traitons actuellement.
Quelles mesures avez-vous prises concernant vos conditions de souscription ?
JLDB : Nous ne désertons pas ce marché, nous cherchons à retrouver l’équilibre technique de nos opérations et cela passe principalement par des augmentations tarifaires.
Autre mesure, sur les conseils de nos réassureurs, nous allons sur certaines branches en difficultés introduire des franchises quasi systématiques. C’est le cas en dommages aux biens, c’est aussi ce que nous allons faire pour les émeutes. Alors que les émeutes/mouvements populaires relèvent largement de la responsabilité de l’État, nous allons cette année encore proposer d’assurer ces événements mais à des conditions beaucoup plus resserrées, notamment en imposant des franchises sans commune mesure avec ce qu’elles sont aujourd’hui.
Enfin, nous limitons certains plafonds de garantie pour les plus grosses collectivités car compte tenu de nos fonds propres, nous ne pouvons plus aller au-delà. Ce sont des décisions difficiles mais elles sont nécessaires à notre pérennité.
JB : Derrière ces mesures prises par Smacl assurances SA, il y a la volonté de continuer à assurer les collectivités. Et en tant que président de Smacl assurances et comme sociétaire, partie prenante de l’assemblée des mandataires, je suis très attaché à l’entreprise. Il faut un assureur pour les collectivités, et c’est heureux que Smacl assurances soit désireuse de rester l’interlocuteur des élus locaux.
En parallèle, on voit bien qu’une difficulté va naître si un monopole s’impose faute de combattants. Le marché d’assurance des collectivités ne peut se limiter à la Smacl assurances. Ce qui est certain tout de même, c’est qu’avant les émeutes de l’été, Smacl assurances était sur la voie du redressement technique. Il y a déjà beaucoup de travail accompli par la SA pour se remettre sur la voie de l’équilibre. Malheureusement, les émeutes sont venues bousculer ce calendrier.