Pourquoi dépenser des fortunes en campagnes de communication, alors que notoriété ne rime pas forcément avec publicité ? Faut-il être drôle pour être connu ? Doit-on nécessairement surfer sur l'air du temps ? Où et quand prendre la parole ? Enquête au pays de l'image... de marque.
Entre la mémorisation des messages publicitaires d'une marque et sa notoriété, il peut y avoir un monde. D'un côté, Maaf, MMA et Groupama, princes de la mémorisation publicitaire. De l'autre, Axa, champion toutes catégories de la notoriété dans le monde hexagonal de l'assurance, mais annonceur à peine plus mémorable que la moyenne de ses concurrents. Alors, pourquoi donc se battre à coups de dizaines de millions en prime time si la partie se joue ailleurs ?
« Parce qu'on n'a pas le choix », semble être un bon résumé de l'état d'esprit des acteurs du marché. La GMF a testé l'an dernier une campagne sans télé. Résultat sans appel pour Sylvie Lagourgue, directrice du marketing et de la publicité : « L'efficacité s'en ressent. Une campagne commerciale a besoin du mix télé, radio, web. Face à la débauche d'énergie des assureurs qui parlent tous de la même chose à la même saison, exister à la télévision est compliqué. Mais nous n'avons pas le choix. » La télévision et ses investissements colossaux sont donc un passage obligé.
Cultiver sa différence
Mais puisque certains occupent la place avec plus de réussite que les autres, quelques-uns ont cherché à s'exiler dans d'autres médias et à y faire leur trou. Ainsi, la Maif s'est-elle tournée vers le cinéma où on ne voit quasiment qu'elle et ses petits dessins de sociétaires nous vantant les mérites d'une mutuelle qui, sachez-le et ne l'oubliez plus, n'est pas réservée aux enseignants. « Longtemps, nous nous sommes développés grâce au bouche à oreille des enseignants, se souvient Catherine Piet, directrice de la marque et de la communication. Aujourd'hui, nous voulons nous ouvrir à de nouveaux publics en réactivant ce bouche à oreille, grâce au cinéma. On va au cinéma à plusieurs, en famille, et en sortant, on parle du film, mais aussi des pubs. Ce n'est pas un média aussi puissant que la télévision en termes d'impact, mais les publics que nous visons sont de gros consommateurs de cinéma. Nous pouvons leur adresser des messages affinitaires dans un format plus souple (45 secondes au lieu de 30 en télévision). Nous prenons le temps de leur parler de nous. » Pour ces raisons, les salles obscures se sont imposées comme un choix évident. Mais les petits écrans, de la TV et du web, attirent le plus gros des investissements, afin d'assurer la puissance du dispositif. « Ce n'est pas facile d'y faire son trou, mais la Maif y propose elle aussi une saga qui rencontre son petit succès, poursuit Catherine Piet. Grâce à l'ensemble de notre politique, la Maif fait partie des marques qui, avec des moyens moins importants que d'autres, réussissent à émerger. Nous sommes identifiables. Nous avons un style à nous. Nous cultivons notre différence avec persévérance. »
De son côté, la Matmut a choisi une autre forme de contre-pied en privilégiant l'affichage. « Nous sommes pratiquement les seuls, s'enorgueillit Jean-Michel Levacher, directeur de la communication. Depuis l'an 2000, une part importante de nos plans d'achat d'espace est consacrée à de grandes campagnes d'affichage urbain. C'est un métier difficile. Par exemple, le temps de lecture d'une affiche est compris entre huit et dix secondes. Or l'assurance a besoin de plus de temps pour tenter le client, délivrer un message ou expliquer une offre. Alors, on ne dit pas tout, on suggère, pour l'inciter à se rendre à l'agence Matmut ou visiter notre site internet. Nous faisons le pari d'un taux de couverture très important qui nous permet d'être visibles sur 90% de la surface des agglomérations. C'est là que se trouve notre cible et nous avons choisi d'être présents au plus près d'elle. »
Avec ou sans la télé ?
A la Macif, on a décidé de rester à la télévision, mais de ne pas exister uniquement dans les écrans publicitaires. Sponsoriser le bon programme au bon moment fait la joie de Catherine Antonetti, directrice de la communication. « Le programme court "Emission de solutions" donne de formidables résultats parce qu'il en phase avec ce que l'on est. Le rapport du discours avec la marque est fondamental. A priori, il est vrai que ce type de communication marque moins que la publicité traditionnelle. Mais les retours de nos sociétaires sont extrêmement clairs : c'est ce qu'ils attendent de nous. Il y a une exigence face au modèle mutualiste. Nous tenons à avoir un discours vrai. Nous avons envie de marquer ce territoire différenciant. »
Et puis, il y a internet. Plus personne ne peut aujourd'hui se permettre d'en être absent. Mais chacun décide s'il faut se lancer avec parcimonie ou faire le pari du web. Axa, qui peine donc à jouer son rôle de leader à la télévision, mise beaucoup sur les nouveaux horizons offerts par internet. « Nous y investissons beaucoup parce que nous croyons qu'il s'agit d'un bon média de visibilité et de pédagogie, avec la possibilité d'y proposer des parcours, d'y donner des conseils, d'y utiliser des nouvelles technologies comme le web call back, explique Charlotte Girard, directrice de la publicité d'Axa France. On peut y explorer de nouveaux territoires avec des codes publicitaires plus connivents, comme des caméras cachées sur la retraite. La tonalité y est plus décalée et plus libre. »
Il y a donc une vie ailleurs qu'à la télé. Mais pas sans la télé. « Pour exister sur internet, il faut exister en mass média », affirme Christine Roussillon, directrice du marketing et de la publicité de Direct assurance. Même pour un assureur estampillé jeune, différent, axé sur les nouvelles technologies, tout commence dans la petite lucarne. « Le "Vu à la télé" est aussi indispensable et universel dans le monde de l'assurance qu'ailleurs, poursuit-elle. En dessous d'un certain investissement, vous quittez les écrans radars. »
Une affirmation que ne peuvent évidemment contester les leaders de la mémorisation publicitaire à la télévision. Laurent Pigelet, directeur de la communication et du marketing de la Maaf, est très clair sur le sujet : « Nous veillons à maintenir une forme de pression publicitaire, notamment à la télévision, car il est dangereux de modifier les investissements tant que la TV domine autant. Ceci étant dit, nous sommes très vigilants quant à notre présence à la radio car elle est, par exemple, très écoutée par les professionnels, notamment sur les chantiers ou en voiture. Et puis, on ne peut plus désormais ignorer internet. Nous y investissons beaucoup. Les Français s'y précipitent, que ce soit sur leur ordinateur à la maison ou sur leur smartphone. »
Le désir et le réseau
Revenons à notre question initiale : à quoi tout cela sert-il vraiment ? A faire vendre ? Personne ne niera cette finalité. Mais pas seulement. « La publicité ne sert pas directement à générer du chiffre d'affaires, reprend Catherine Piet, de la Maif. Il s'agit avant tout de véhiculer une image, de créer du désir, et donc bien sûr des flux. Mais il est difficile de mesurer la contribution directe de la publicité à un chiffre d'affaires ou à un volume de nouveaux sociétaires. En revanche, nous avons beaucoup gagné en image sur notre cible non habituelle. » Même son de cloche à la Matmut. « Il est très difficile de mesurer les retombées économiques et commerciales d'une campagne, reconnaît Jean-Michel Levacher. En revanche, on peut facilement mesurer l'évolution de notre notoriété. »
Toutefois, chacun agit en fonction d'objectifs propres. « La notoriété n'est pas le critère par lequel nous pilotons notre communication, explique Sylvie Lagourgue, de la GMF. Ce qui nous intéresse, ce sont la création de flux et les résultats commerciaux. » De plus, la notoriété, tous s'entendent pour l'affirmer, repose sur bien d'autres critères que la simple mémorisation publicitaire. « Quand on a 3 000 agences, cela crée de la notoriété. Avec 400 agences, c'est beaucoup moins évident », concède Sylvie Lagourgue.
Et voilà donc l'un des secrets d'Axa. La visibilité de son réseau d'agences vaut toutes les campagnes de publicité. « Cela fait deux ou trois ans que nous voulons axer notre développement sur de nouveaux territoires : la banque, l'épargne, la retraite, explique Charlotte Girard. Contrairement à d'autres, en matière de publicité classique, nous avons peu d'enjeux de notoriété sur nos métiers traditionnels. Avec 4 000 points de vente, nous n'en avons pas besoin. Rendez-vous compte que notre réseau représente la moitié d'un parc d'affichage... » Ajoutez à cela un nombre record de clients et une présence quasi permanente dans les médias (ne serait-ce que dans l'actualité financière quotidienne, Axa faisant partie du CAC 40), vous obtenez un cocktail gagnant dans la composition duquel la publicité n'est qu'un ingrédient parmi d'autres.
Tout de même, rien n'empêcherait Axa d'avoir une communication publicitaire plus marquante, plus identifiable. On a bien senti, à sa naissance, que la famille Delachance avait envie d'intégrer le cercle de nos amis et de devenir aussi familière que la Cerise de Groupama, les danseuses du Palace de la Maaf ou les compères moqueurs de MMA. Mais l'essai n'a pas été transformé et la compagnie est revenue à un langage plus sérieux. « Il est vrai que dans nos campagnes, on ne chante pas, on ne danse pas, poursuit Charlotte Girard. Nous préférons des logiques plus sérieuses sur la stratégie de la preuve. Par nature, nous sommes perçus comme le leader, peut-être un peu plus froid, mais sérieux et innovant. Nous ne pouvons pas tous jouer sur le même registre. Bien sûr, nous aimerions enregistrer des scores de mémorisation publicitaire plus élevés. On le souhaite toujours. Mais cela fait deux ou trois ans que nous installons des codes musicaux, une logique, une image. Nous avons choisi de donner des preuves qui donnent envie de se renseigner plutôt que de divertir et peut-être de phagocyter le message. » Au moins la stratégie est-elle parfaitement assumée.
Icône intemporelle
Mais à la Maaf, par exemple, pense-t-on phagocyter le message en chantant et en dansant ? « Nous avons initié la saga Palace parce que nous voulions bousculer les codes de notre profession, explique à son tour Laurent Pigelet. Les clients aiment qu'on leur parle d'assurance de manière humoristique et décalée. Nous leur racontons une histoire. Ils exigent une preuve concrète. Ils veulent des réponses. Nous les leur donnons. » Quelle que soit la forme, une pub est réussie dès lors qu'elle est facilement mémorisable ? « Bien sûr que non. Une communication doit ressembler à l'entreprise et les salariés doivent avoir la capacité à la porter. Depuis vingt ans, nous tâchons d'être proches, innovants, sympathiques. Bien avant la saga, on nous attribuait déjà ces valeurs. On ne s'invente pas un caractère du jour au lendemain. Il faut de l'audace, une volonté de faire et une capacité à pérenniser le message. » Durer en évoluant toujours, pour ne jamais lasser. Telle semble être la recette gagnante. Chez Groupama, Cerise était brune avant de devenir blonde. Et la blonde a changé. Qui s'en souvient ? Une robe à pois verts serait-elle plus mémorisable qu'un visage ? A n'en pas douter. « Cerise est une icône intemporelle, analyse Marie-Pierre Vincent, directrice de la marque. Cela nous donne beaucoup de souplesse et nous procure un fort capital sympathie. Chacun fait en fonction de sa culture d'entreprise et elle représente bien la nôtre. Si on veut être vu, il faut être unique. Notre différence s'appelle Cerise. C'est la permanence des codes qui l'accompagnent qui crée le souvenir publicitaire et donc la notoriété. Nous avons des racines terriennes et nous les revendiquons. Nos clients et nos prospects s'y reconnaissent. » Les collaborateurs et le réseau aussi, qui ont accepté Cerise comme l'une des leurs. « Un réseau soutenu par une campagne de pub est plus efficace, ajoute Marie-Pierre Vincent. Les campagnes rythment les temps forts de l'année et Cerise est devenue une star en interne. Les gens viennent sur les tournages pour pouvoir l'approcher. »
Pérennité est donc le maître mot chez Groupama comme à la Maaf. Chez MMA aussi, où l'on assume un ton volontairement décalé. « Ne nous le cachons pas, la clé consiste à être connu, reconnaît Stéphane Daeschner, le directeur de la communication et de la marque. Celui qui cherche un assureur ira d'abord consulter les offres de ceux qu'il a en tête. Mais ne confondons pas la notoriété et l'image. Ce n'est pas pareil. L'image se crée sur la durée. La nôtre est liée à nos prises de parole publicitaires, mais aussi à l'image de nos agents, à nos actions de prévention. Face à deux propositions équivalentes, le client choisira celle de l'assureur qui sera à la fois le plus connu et celui qui véhiculera la meilleure image. C'est dans cet esprit que nous avons décidé de parler de choses importantes, avec humour, mais en nous appuyant sur les solutions et le fond. C'est bien parce que le discours de fond est clair que nous pouvons nous aventurer sur ce territoire de communication. » Dans cet esprit, MMA a choisi cette année de mixer l'ère des canaux virtuels avec les valeurs ancestrales du mutualisme, pour les réinventer en un réseau social humain des plus joviaux. Une orientation qui fait parler. « Le réseau social est l'essence même des mutuelles, rappelle Catherine Antonetti, de la Macif. Mais je ne suis pas sûre que cette image ait sa place dans le discours commercial. Je préfère mettre en avant le discours de l'assureur et de ses engagements. »
Résonnance avec la marque
A chacun son mode d'expression, on l'a bien compris. Peu nombreux semblent d'ailleurs être les concurrents de MMA qui pourraient assumer le sien. « Je considère qu'une publicité doit être juste pour la marque, analyse Sylvie Lagourgue, à la GMF. La nôtre a un côté institutionnel qui peut créer un peu de froideur et de distance, mais nous ne pouvons pas adopter n'importe quel code. Nous devons coller à l'image de la marque qui existe dans l'esprit du public. Les tests se sont toujours révélés négatifs pour la GMF à chaque fois qu'elle a tenté de partir dans les délires qu'osent certains autres. Nous ne pouvons pas adopter tous les codes qui marchent ailleurs. » Il est vrai qu'on imagine mal Chevallier et Laspales porter haut l'image de la GMF, tandis que la Matmut se félicite tous les jours de les avoir choisis pour porte-étendard. « A l'époque, nous recherchions un vecteur facilement reconnaissable, sympathique, purement français et qui puisse nous faire gagner du temps sur la durée de nos spots, explique Jean-Michel Levacher. A la radio, par exemple, choisir une vedette permet à la voix d'être identifiée dès la première seconde et vous gagnez ainsi cinq secondes sur votre spot. Et si cette voix est en plus vecteur de sympathie et d'empathie, vous avez gagné beaucoup plus encore. » Pourquoi alors les duettistes ne figurent-ils pas au sommet de la mémorisation publicitaire du secteur ? « C'est la multiplication des messages qui fait l'écart. Si nous étions là tous les mois, les choses seraient différentes. Notre moindre visibilité nous contraint à être derrière quelques autres. Nous concentrons donc nos efforts sur des vagues précises. »
L'achat d'assurance étant plus réfléchi qu'impulsif, la notoriété top of mind y serait donc moins essentielle que dans d'autres domaines. Cet achat réfléchi est souvent guidé par la recherche du meilleur rapport qualité/prix, facilitée par les comparateurs en ligne. Alors, utile la pub ? Il semblerait donc que oui, et pour un bon moment encore.
" Il s'agit avant tout de véhiculer une image, de créer du désir, et donc bien sûr des flux. Mais il est difficile de mesurer la contribution directe de la publicité à un chiffre d'affaires ou à un volume de nouveaux sociétaires. "
Catherine Piet
Maif
Non, la Maif n'est pas réservée aux enseignants ! C'est ce que rappelle le petit personnage dessiné de la mutuelle, dans les salles de cinéma. Un mode de diffusion qui permet à la Maif de proposer des messages affinitaires au format plus souple qu'à la télévision.
Les chiffres clés des stratégies publicitaires
" Sur internet, on peut explorer de nouveaux territoires avec des codes publicitaires plus connivents. La tonalité y est plus décalée et plus libre. "
Charlotte Girard
Axa
Jean-Michel Levacher, directeur de la communication de la Matmut, le dit sans détour : " Nous faisons le pari d'un taux de couverture très important, qui nous permet d'être visibles sur 90% de la surface des agglomérations. "
" Une communication doit ressembler à l'entreprise et les salariés doivent avoir la capacité à la porter. Il faut aussi de l'audace, une volonté de faire et une capacité à pérenniser le message. "
Laurent Pigelet
Maaf
Répartition par média pour les principaux annonceurs
En 2011, seuls la presse et le cinéma progressent véritablement. Internet n'attire pas encore d'investissements massifs, sauf de la part d'Axa.
Chez Groupama, Cerise était brune avant de devenir blonde. Et la blonde a changé. Qui s'en souvient ? Une robe à pois verts serait-elle plus mémorisable qu'un visage ? A n'en pas douter.