Désintermédiation ban- caire et volonté politique, telles sont les deux nouvelles contraintes qui poussent les assureurs à se pencher sur de nouveaux actifs. Fortement incitée à participer au financement de l'économie, l'assurance a donc un nouveau rôle à jouer en prenant le relais de l'Etat et des banques. Et dans leur quête de rendement, les assureurs prennent ce nouveau rôle au sérieux en allant sur de nouveaux actifs jusqu'ici réservés aux banques. En effet, « avec Bâle 3, les banques ont besoin de davantage de liquidités et se désengagent de certains projets de financement à long terme. A l'inverse, les assureurs ont de la liquidité à investir et des passifs longs », souligne Denis Bourgeois, associé de Périclès Actuarial. Et de poursuivre : « Les deux mondes peuvent donc collaborer sur des montages de financement ad hoc. »
Investir dans les PME
En « étant sortis d'actifs à rendements faibles et constatant l'entrée de nouveaux flux, les assureurs rebalancent aujourd'hui leur cash vers des actifs à rendement, comme le financement de dette privée », observe Anne Dille-Weibel, directrice commerciale banque et assurance chez BNP Paribas Investment Partners. Depuis une modification du code des assurances en août dernier, les assureurs peuvent allouer 5 % de leurs actifs à ce type de financement de prêts auprès des PME et ETI. Ainsi, « après la bancassurance, voilà venu le temps de l'assurancebanque », ironise Pascal Heurtault, directeur des investissements chez Aviva Investors France. Mais déjà, on souligne les limites d'une telle gestion, notamment en ce qui concerne le suivi des créances douteuses et du nombre d'obligations qu'ont les banques dans cette activité. D'ailleurs, tous les assureurs le répètent : « Ce n'est pas notre métier ! »
Malgré cela, plusieurs opérations ont déjà été organisées ces derniers mois par Allianz ou encore Axa. Mais la vraie nouveauté réside dans la mise en route du fonds de place Novo, pour un montant d'un milliard d'euros. Ce fonds, dans lequel les assureurs sont largement incités à participer, a pour objectif de prêter directement aux entreprises, alors que jusqu'ici les assureurs pouvaient participer à des placements privés d'émissions obligataires. « Le fonds Novo est une initiative de place intéressante. Nous avons en effet un passif long qui permet de financer des dettes illiquides », estime Mikaël Cohen, directeur des investissements de CNP assurances. Mais pour Périclès, « le fonds Novo pose le problème de la transparence des prêts et de la gestion du risque pour les assureurs ». En coulisse, on parle surtout de potentiels conflits d'intérêts, de problèmes d'allocation de ressources humaines sur ce type de produit ou encore d'éducation des entreprises face à des taux d'emprunts plus élevés.
Actifs illiquides contre rendements attractifs
De même, le financement des infrastructures n'est pas le métier des assureurs. Mais là encore, tout est histoire de politique : l'Etat n'a plus les moyens de financer les infrastructures et les banques se retirent, restent alors les assureurs. C'est ici toujours la quête du rendement qui permet de répondre favorablement à cet appel conjoncturel. D'ailleurs, « les cash flow stables, la duration et les primes de liquidité nous permettent de capturer des marges entre 150 et 300 pbs [ndlr : le point de base correspond à un centième d'un pour-cent, soit 0,01 %] contre 100 pbs pour le crédit investment grade », explique ainsi Vincent Falantin, directeur de la stratégie des investissements d'Allianz France. Ce dernier a d'ailleurs annoncé en juillet le financement de la dette d'infrastructure de la Cité musicale sur l'Ile Seguin à Paris, ainsi qu'une autre opération en Espagne.
Mais investir en direct dans la dette infrastructure reste réservé aux gros acteurs du secteur capables d'amortir le risque, les autres préférant passer par des fonds afin de diluer ce risque. De même, les assureurs se positionnent plutôt sur du financement de la dette secondaire, à échéance 5 ou 7 ans plutôt que 15 ans, reposant sur des actifs réels déjà opérationnels et qui peuvent bénéficier rapidement d'une reprise économique. Et pour Eric Berthoux, directeur délégué administratif et financier de la Maif, « l'infrastructure (0,5 % des actifs) fait partie de la stratégie de diversification menée depuis quatre ans. Nos investissements doivent nous assurer un véritable rendement ». Quoi qu'il en soit, cet actif a les faveurs des assureurs comme la CNP qui souhaite y allouer 2 Md€ d'ici trois ans et qui, par ailleurs, s'aventure sur de l'infrastructure equity. « Cela coûte cher en capital, car assimilé à des actions, mais la rentabilité en vaut la peine puisqu'elle peut dépasser 10 % à terme », assure Mikaël Cohen.
La titrisation, prochaine étape
Ainsi, les prochains mois verront les assureurs s'adapter à ce nouveau métier de financeur de l'économie française. Et la prochaine étape dans cette aventure devrait probablement être le marché de la titrisation de prêts privés que les banques commencent à vendre aux assureurs. Denis Bourgeois le confirme : « La titrisation des prêts au bilan des banques est amenée à se développer d'ici l'an prochain, sous l'impulsion de la Banque de France et de la Fédération bancaire française, dans l'objectif de favoriser les crédits accordés aux entreprises. » Une vision réaliste si l'on en croit les gérants d'actifs et l'état des bilans des banques.
" Avec Bà¢le 3, les banques ont besoin de davantage de liquidités et se désengagent de certains projets de financement à long terme. A l'inverse, les assureurs ont de la liquidité à investir et des passifs longs. "
Denis Bourgeois
Périclès Actuarial
Allianz va investir 127 M€ dans le financement de la dette à long terme de la nouvelle Cité musicale de l'Ile Seguin qui doit être construite à Boulogne-Billancourt. Allianz Global Investors gérera la dette pour le compte d'Allianz France et d'autres sociétés du groupe Allianz sur une période de 30 ans. L'appel des fonds aura lieu à l'issue de la construction prévue mi-2016.