Etes-vous prêts pour le big data ?

Publié le 2 janvier 2013 à 6h00    Mis à jour le 22 octobre 2015 à 12h40

Emmanuel Mayega


Alors que le volume d'informations clients explose, que faire de toutes ces données et comment les traiter ? Un sujet stratégique qui intéresse de près les directions marketing et commerciales. Enquête sur une révolution technologique pour laquelle les assureurs ont pris du retard.

A la faveur d'internet et de ses avatars, l'ensemble des secteurs d'activité est pris dans le tourbillon du big data. Selon le cabinet de conseil IDC, cette profusion devrait donner lieu à un marché (logiciels, services...) enregistrant une croissance annuelle de 40 % pour atteindre 16,9 Md$ d'ici 2015. Et les assureurs, spécialistes au même titre que les banquiers, sont parmi les premiers concernés par cet or du XXIe siècle. Et pour cause, «ils utilisent la donnée comme matière première. Il s'agit d'une véritable opportunité à saisir, mais beaucoup ne sont pas encore prêts», estime Xavier Ducurtil, associé du cabinet de conseil en stratégie Vertone (lire encadré p. 9). Ramenant le débat sur le terrain du savoir et de la connaissance, Henri de Castries, président d'Axa, va plus loin : «Internet abaisse le coût d'accès à l'information et accélère sa transmission, et donc modifie fondamentalement les rapports de pouvoirs. On peut décider d'y résister ou l'utiliser intelligemment. Nous avons choisi le second cas.» Et Nelly Brossard, DG déléguée d'Amaguiz, de corroborer : «Pour un assureur, la donnée est très importante, surtout pour les acteurs directs ; elle nous permet de mieux connaître nos clients et prospects. Et d'affiner nos tarifs. » Au-delà de ces affirmations de taille, qu'en est-il en général chez les assureurs ?

L'attentisme prévaut

Premier constat, le vocable big data effraie certains là où quelques-uns ne jurent que par cette nouvelle donne. C'est le cas de Santiane (lire p. 10). Entre ces deux cas extrêmes, l'attentisme prévaut. Au sein du cabinet Mercer, l'on a d'ores et déjà pris la mesure de cette révolution de la donnée. «En complément des informations institutionnelles que nous livrent nos clients au moment de la tarification de leurs contrats, nous glanons de plus en plus de données issues de différentes sources. Il est judicieux de les analyser à des fins de connaissance clients», indique Vincent Harel, directeur du marché des particuliers et des TPE. Sur la base de cette affirmation, le courtier spécialiste de la santé/prévoyance bâtit une stratégie adaptée aux attentes de chaque assuré. Une des applications mises en place pour y arriver a été baptisée "Présence au travail et engagement". Celle-ci croise les données d'absentéisme et celles de prestations médicales (consultations, prescriptions, etc.). L'objectif étant, par exemple, de définir le niveau de stress qui sévit dans une entreprise. Et de proposer un programme d'accompagnement et de gestion de ce risque.

Chez Diot, «la multitude de clients et sinistres gérés, souvent sur de longues périodes, constitue une importante richesse de données cumulées dans nos bases », assure Olivier Daniel, directeur des systèmes d'information. Comment le cabinet gère-t-il cette masse d'informations ? «Nous développons des outils pour explorer ce patrimoine de données, dans une logique anonymisée et à des fins strictement statistiques. En effet, nos clients attendent de nous des recommandations basées sur des statistiques fiables, pertinentes et adaptées à leur activité. Grâce à des indicateurs et modèles bâtis à partir des données statistiques de nos bases, nous sommes par exemple en mesure de comparer leur comportement de consommation de frais de santé par rapport à des entreprises de même taille, secteur d'activité ou zone géographique, ou bien de produire plus classiquement des tableaux de bord illustrant l'évolution de leurs risques au fil du temps», ajoute le DSI. Pour ce dernier, la nécessité de gérer des quantités de données croissantes se traduit par le besoin de renforcer en permanence la capacité et les ressources dédiées au stockage tout en améliorant la mise en qualité des données et les outils permettant leur exploitation/diffusion.

Un défi existentiel

Ces différentes démarches ont le mérite de souligner la volonté des assureurs d'exploiter les gisements de données engrangées sans forcément basculer dans une logique de big data, pour le moment. Pourtant les enjeux sont de taille. «Selon une observation bien partagée, nous produisons autant de données aujourd'hui qu'en 2 000 ans d'histoire. Pour les assureurs et les banquiers, il s'agit d'un défi existentiel, car ce changement bouleverse progressivement leurs métiers. Gartner [société de conseil en technologie] classe clairement ces deux branches d'activités parmi les plus concernées par la profusion de données. Je suis convaincu que les premiers à tirer profit de cette mine d'or prendront une option sérieuse sur l'avenir. Pour l'heure, très peu se lancent dans l'exploitation des données issues de sources multiples. Pourtant, elles coûtent moins cher à exploiter », estime Eric Biernat, manager assurance chez Octo Technology (lire encadré ci-contre). Une étude conduite par Deloitte pour le compte d'Aviva vient confirmer cette réalité. Cette enquête portant sur les conditions d'éligibilité à un contrat d'assurance emprunteur avait considéré les méthodes classiques d'analyse médicales et celle prenant en compte l'approche big data. L'objectif était d'établir un modèle d'analyse prédictive permettant de réduire les coûts de sélection des clients. Pour chacune de ces approches, 30 000 dossiers de candidats ont été passés au crible. A l'arrivée, le même résultat est obtenu, les données publiques de Deloitte (données marketing relatives aux habitudes de consommation, historique des données inhérentes à d'autres demandes de souscription de contrats, etc.) ayant nécessité un investissement très largement inférieur à celui de la méthode traditionnelle. En clair, utiliser le big data est source de meilleure connaissance clients, surtout à moindre coût. Plus généralement, Julien Maldonato, senior manager chez Deloitte, trouve en cette nouvelle approche quatre pistes d'applications : «La connaissance et l'expérience client avec à la clé une interaction plus fluide, sur la base de données issues de source diverses ; une logique collaborative de gouvernance des données parmi lesquelles celle de gestion de sinistres, aujourd'hui encore inexploitées ; la réactivité avec la possibilité d'accompagner le client en temps réel dans sa recherche de solutions en ligne ; enfin, la fidélisation et la rétention plus efficaces sur la base de l'analyse des données externes et internes engrangées par un assureur

Modernisation des outils

Toutefois, observe Gontran Peubez, senior manager, conseil assurance chez Deloitte, «les assureurs doivent respecter certains préalables technologiques avant d'intégrer ces différentes applications du big data de manière efficace. Poids de leur histoire informatique, ils ont empilé des couches d'applications qui ne communiquent pas entre elles et de ce fait empêchent une exploitation fluidifiée des différentes sources de données. Un effort de modernisation des outils est avant tout nécessaire. Dans cette perspective, ils peuvent intégrer la panoplie d'outils nouveaux disponibles sur le marché».

Axa France s'inscrit, par exemple, dans cette logique de modernisation pour, ensuite, passer à une pleine exploitation renforcée du big data dont elle goutte les premiers fruits (lire ci-contre). MMA est également convaincu du potentiel énorme de cette innovation. «Nous sommes innervés de données provenant de sources diverses, en complément de celles que nous utilisons pour tarifer nos risques. Réseaux sociaux, sites web du groupe et demain ceux de nos partenaires affinitaires viendront enrichir ces gisements. Mais, pour l'heure, nous n'en sommes qu'au début d'une telle exigence du fait de contraintes purement techniques à lever. Nous avons engagé des travaux de modernisation informatiques pour faciliter la collecte des informations clients et permettre leur intégration dans l'ensemble des processus de l'entreprise, et ce, afin d'enrichir la connaissance clients et optimiser les interactions avec nos assurés», reconnaît Emmanuel Royer responsable de projet marketing clients, à la direction centrale du marketing. L'une des briques technologiques intégrées dans cette logique est le progiciel Neolane, qui utilise les données provenant de différentes sources afin d'introduire une vision à 360° du client. Cet outil permet, par exemple, de rebondir sur les moments clés de la vie d'un assuré (anniversaire, naissance, sinistre) pour pousser un contact pertinent et personnalisé avec le client. Au final, « ce travail de fusion et d'analyse de données nous offre l'opportunité d'apprendre sur nos clients sachant que les occasions d'échanges avec eux sont peu fréquentes », indique Emmanuel Royer.

Qu'en est-il des acteurs de la protection sociale ? Le cas de Pro BTP est représentatif de par la volumétrie des personnes protégées : 3,5 millions d'adhérents, 1,6 million d'actifs et 214 000 entreprises cotisantes. «Ces chiffres sont synonymes de masses de données importantes à gérer, constate Jean-David Michel, directeur du développement. Si, pendant longtemps, les aspects techniques et actuariels ont été les plus concernés, nous orientons également nos efforts sur l'interaction client et la personnalisation de cette relation. En intégrant la solution Neolane, nous allons capter les informations issues de différentes sources digitales afin d'enrichir notre data mart [magasin de données] marketing.» Cette plate-forme intègre progressivement les données recueillies sur les sites web du groupe, dans les espaces privés des clients. Elles servent de point d'appui aux actions commerciales initiées. Progressivement, grâce à cette base marketing, Pro BTP suivra les retombées en temps réel de ses campagnes commerciales.

À chacun ses priorités

Du côté de la Macif, les sirènes du big data sont entendues, mais la mutuelle reste, pour l'heure, en dehors de cette fièvre. «Les données de tarification enregistrées sur notre site web sont volontairement inexploitées à des fins commerciales, pour des raisons d'éthique. A des fins marketing, nous exploitons uniquement celles laissées volontairement dans l'espace privé du sociétaire. De la même manière, le parcours du client sur notre site est suivi dans une logique anonyme», explique François Provost, responsable marketing réseaux. Chez idMacif.fr, la stratégie est sensiblement la même, malgré un parcours adhérent différent. La filiale pure player du groupe multiplie toutefois les points d'interaction avec ses clients à travers les réseaux sociaux, le canal web et ses plates-formes téléphoniques. L'objectif est d'améliorer la notoriété de sa marque. Les vidéos virales prévues dans les prochains mois contribueront également à cette finalité. En résumé, «nous sommes conscients de la nécessité d'évoluer vers le big data. Et notre présence sur les canaux digitaux devrait nous aider à franchir ce cap le moment venu. Toutefois, pour l'heure, nous avons d'autres priorités», explique Olivier Aroldi, directeur des opérations d'idMacif.fr.

Quid chez Generali ? «Nous en sommes encore aux débuts de cette démarche, de manière plus ou moins avancée selon qu'il s'agisse de nos clients ou de nos prospects. Dans le premier cas, les espaces personnalisés de nos assurés nous offrent l'opportunité d'engranger des données assez riches. Nous étudions la façon de les utiliser efficacement. Dans le second cas, nous sommes bien avancés», indique Carline Huslin, directrice acquisition et fidélisation clients. Sur ses espaces digitaux, par exemple, l'assureur a déployé des FAQ (foires aux questions) intelligentes qui permettent d'identifier les interrogations récurrentes des internautes afin de leur apporter des réponses sur mesure. Ces dispositifs assortis d'outils d'analyse lexicale constituent de véritables supports de connaissance clients, tout comme les formulaires de contacts. Les données captées via ces médias sont analysées et permettent d'orienter les actions de l'assureur. Un exemple : de multiples demandes d'information sur la santé donneront lieu à des présentations contextualisées du contrat. Parallèlement, l'assureur traque désormais le parcours du prospect et entend identifier des centres d'intérêts afin d'agir en conséquence, sous la forme d'une proposition d'une offre adaptée à son profil. L'analyse du parcours multicanal vient s'ajouter à cette palette de services. Par ailleurs, l'une des manifestations concrètes de l'intégration des nouvelles données dans les processus de Generali a été la reformulation de son offre de complémentaire santé dans la foulée d'un premier test effectué sur la Toile. «Nous avons appris sur les attentes des clients et allons proposer une offre davantage en phase avec leurs besoins. Nous espérons ainsi faire une belle entrée sur le marché», développe Carline Huslin.

Quid chez nos voisins ?

Qu'en est-il à l'étranger ? Au Royaume-Uni par exemple, Nationwide a implémenté les solutions de Pitney Bowes Software pour améliorer l'efficacité de sa relation clients. Les bénéfices portent autant sur la performance commerciale que sur la satisfaction de ses adhérents. «Ces composants transforment le volume de données engrangées en informations analytiques exploitables pour personnaliser les actions commerciales via différents canaux. Grâce à un ciblage optimal fondé sur la propension d'une réponse positive à une sollicitation marketing, l'assureur a augmenté de 50 % le taux de détention multiproduit et a multiplié par trois le rendement de ses campagnes marketing», précise Jean-Blaise Diebold, directeur marketing de cet éditeur. Et Jean-Laurent Vidal, directeur commercial Europe du Sud d'ajouter : «Ces réussites sont possibles grâce à une meilleure exploitation des masses de données et des systèmes de gestion déjà en place au travers de nos solutions qui offrent des technologies non-invasives

Au-delà la pression marketing du big data, les assureurs prennent peu à peu la mesure de ses atouts. Mais tout reste à bâtir.

"Pour un assureur, la donnée est très importante, surtout pour les acteurs directs ; elle nous permet de mieux connaître nos clients et prospects. Et d'affiner nos tarifs."

Nelly Brossard, Amaguiz

Points de vue - L'assureur vs le consultant

Eric Biernat

manager assurance, Octo Technology

"Nous développons des outils pour explorer ce patrimoine de données, dans une logique anonymisée et à des fins strictement statistiques."

Olivier Daniel Diot

Si idMacif.fr reste en dehors de la fièvre du big data, elle multiplie toutefois les points d'interaction avec ses clients à travers les réseaux sociaux, le canal web et ses plates-formes téléphoniques. Son objectif : engranger un maximum de données pour être prêt le moment venu.

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