Santé

ACS, la réforme qui va tout chambouler

Publié le 3 mai 2014 à 6h00    Mis à jour le 8 mars 2016 à 14h39

Séverine Charon

Alors que le gouvernement souhaite avancer rapidement sur la réforme de l'aide à la complémentaire santé, la profession tergiverse, tant les interrogations sont nombreuses...

Séverine Charon

Après l'ANI et la refonte du contrat responsable, voici... la réforme de l'aide à la complémentaire santé (ACS). Réservée aux personnes aux ressources légèrement supérieures au plafond d'attribution de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) - fixé à 8 592,96 € -, cette aide permet de réduire le montant de la cotisation annuelle d'une complémentaire santé librement choisie. Ces aides peuvent aller de 100 € pour un assuré de moins de 16 ans à 550 € pour les plus de 60 ans.

Jusqu'ici, ce segment a souvent été négligé par les organismes d'assurance ; même si le cap du million de bénéficiaires a été franchi en 2012. Mais d'après une étude de l'Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) publiée début avril, seules 22 % des personnes éligibles auraient formulé une demande d'affiliation en 2011.

Seulement quinze organismes sélectionnés

L'année dernière, le plafond des ressources ouvrant droit à l'ACS a été relevé, élargissant encore ce marché. Il est dorénavant fixé à 11 600 € pour une personne seule et à 24 361 € pour une famille de quatre. «La population éligible à l'ACS n'est pas toujours en situation de marginalité et nous n'avons pas réussi à identifier des besoins sanitaires particuliers. Cette population est aussi volatile : en fonction de primes ou d'heures supplémentaires, un assuré peut bénéficier de l'ACS une année et plus l'année suivante», souligne Sidoine Delteil, chargé de mission chez Pro BTP. Nombre de mutualistes comme Pro BTP veulent accompagner les assurés tout au long de leur vie, quelle que soit leur situation. D'autres acteurs ont une approche plus commerciale, et se contentent de laisser venir ce client peu aisé. Mais les choses vont changer dès le 1er janvier 2015, quand l'assuré bénéficiant de l'ACS ne pourra plus librement choisir son assureur.

En effet, à l'automne dernier, la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, a annoncé des mesures visant à augmenter la diffusion de l'ACS et à relever la qualité des contrats. Ces textes vont à la fois fixer le cadre général et les niveaux de prise en charge, le cahier des charges pour les assureurs candidats, et lancer un avis d'appel d'offres pour retenir... 15 organismes seulement, vers qui tous les contrats existants devront basculer dès le 1er janvier prochain.

Or, aujourd'hui, ce sont environ 400 assureurs complémentaires qui disposent de contrats ACS ! Et une vingtaine comptent plus de 10 000 assurés en portefeuille.

Aujourd'hui, Harmonie mutuelle serait exclue

Alors, à qui seront attribuées les 15 places à l'issue de l'appel d'offres ? Selon les dernières informations diffusées par le ministère et le fonds CMU, et d'après les textes existants, le contrat ACS devra être un contrat individuel, proposer trois niveaux de garantie, être "responsable" et offrir le tiers payant. L'opérateur devra par ailleurs couvrir tout le territoire et ne pas différencier ses tarifs selon la région. Appliqué stricto sensu, ce seul dernier critère exclut d'office des organismes ne disposant pas d'une couverture physique sur toute la France, et notamment les petites et moyennes mutuelles. Et même les plus grandes : Harmonie mutuelle, premier opérateur national en santé et en ACS, ne couvre qu'une cinquantaine de départements via ses agences !

Pour l'heure, rien ne dit si l'offre santé devra être spécifiquement ACS ou être un contrat préexistant, pourvu qu'il réponde au cahier des charges. Mais les offres groupées et coassurées pourraient ne pas être envisageables. Seule certitude, les opérateurs qui se sont montrés les plus volontaires sur le sujet sont ceux qui se sentent le plus menacés. «L'offre ACS mise sur pied par Harmonie, Adrea, Apréva et Eovi repose sur une association et fait appel à la coassurance. Elle peut être proposée à d'autres organismes. Mais dans l'état actuel des textes, elle ne peut être pérennisée, alors qu'en six mois, plus de 10 000 personnes y ont souscrit», regrette Jean-Luc Guillotin, directeur général adjoint d'Harmonie mutuelle, lorsqu'il évoque l'offre labellisée ACS lancée en 2013. «Le nouveau dispositif risque à la fois de rompre la continuité des droits d'un assuré, notamment en optique, et de casser le dispositif d'abondement de l'ACS que nous avions progressivement mis en place pour les ressortissants du BTP», déplore de son côté Sidoine Delteil.

Et pour les autres assureurs ? Certes, le marché de l'ACS ne sera pas un eldorado... Mais si ne pas chercher à se développer auprès d'une clientèle aux revenus limités est une chose, dire à un client fidèle, même modeste, qu'il doit s'adresser à la concurrence pour un de ses contrats en est une autre... Un bénéficiaire de l'ACS a aussi un logement et peut-être une voiture à assurer, et sans doute d'autres besoins à satisfaire.

Aucune position commune du secteur

Le jeune opérateur en santé qu'est La Banque postale observe que l'ACS bénéficie à plus de 10 % de ses assurés pour la gamme famille et à 7,5 % des seniors. Ella a donc bien compris l'enjeu et aide déjà ses clients dans les démarches pour obtenir ce chèque santé. Résultat, le bancassureur compte se présenter à l'appel d'offres. Dans le contexte de l'ANI, où le marché de l'assurance complémentaire rétrécit sur le périmètre de la santé individuelle, un assureur peut-il se permettre de délaisser le segment des contrats aidés ? A noter d'ailleurs que les salariés éligibles à l'ACS devraient bénéficier de dispenses d'affiliation au contrat santé collectif obligatoire de leur entreprise.

Les inconnues demeurent donc nombreuses, mais les critiques sont déjà vives. Plusieurs organismes demandent la modification du projet, voire son report après la publication des textes sur le contrat responsable et la loi sur l'économie sociale (qui définit la coassurance). Mais toutes les familles d'assureurs ne bloquent pas sur les mêmes points, et ne se sont pas mobilisées au même degré sur le sujet. L'Unocam n'a donc pas pu faire valoir de position commune. Le gouvernement, quant à lui, veut désormais avancer rapidement et ne souhaite pas décaler l'entrée en vigueur du contrat ACS.

«L'ACS est une prestation pour laquelle le taux de non-recours est élevé, comme le révèle une étude récente de l'Irdes. Pour expliquer ce phénomène, plusieurs réponses existent : la complexité administrative, la méconnaissance du dispositif par les bénéficiaires ou l'inadaptation de l'offre existante aux coûts. Pour leur part, les mutuelles se sont mobilisées de longue date pour bâtir et lancer des offres adaptées. C'est pour cette raison qu'à l'automne, lors des discussions autour du PLFSS 2014, nous avons demandé le report de l'appel d'offres prévu par le gouvernement, le temps de faire un premier bilan des offres développées par les mutuelles. Nous n'avons malheureusement pas été entendus. Aujourd'hui, au moment où les pouvoirs publics rédigent les textes concernant l'appel d'offres ACS, nous craignons une trop grande précipitation. Le faible nombre d'offres retenues et la complexité du dispositif font courir deux risques majeurs. D'une part, l'éviction d'un grand nombre d'acteurs de la complémentaire santé actifs sur ce secteur de l'ACS, essentiellement des mutuelles, au risque de les déséquilibrer. D'autre part, et surtout, l'éviction d'une plus forte proportion de la population éligible à l'ACS, notamment à l'occasion de la bascule des contrats. Du point de vue de la Mutualité française, il n'est vraiment pas raisonnable de vouloir avancer à marche forcée, et il serait plus judicieux de décaler la mise en œuvre de cette nouvelle réforme.»

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